Atelier 14 - 2024 - Sujet 7
Les deux sages.
Ce n’est que bien plus tard que je découvris l’effet le plus surprenant de ma nouvelle vie scolaire : ma famille, ma chère famille, n’était plus le centre de mon existence.
Il faut dire que jusque là j’avais vécu au paradis. Imaginez un petit village lozérien de 800 âmes, toutes destinées à une vie rurale difficile mais attachante. L’élevage des chèvres et de quelques bovins occupait, avec les travaux ordinaires de toutes fermes, tous les jours de l’année. Chacun savait ce qu’il avait à faire et l’harmonie régnait dans le hameau et dans les familles. Dans ce jardin d’Eden, un peu froid l’hiver et un peu chaud l’été, on y était habitué, les enfants couraient librement dans les ruelles et les prairies attenantes. Belle école de la nature, nous enseignait notre maître d’école. J’ai aimé bougrement cette période. En fait, elle était pour moi la continuité de la chaleur du ventre de ma mère. Fils unique, j’étais le petit Jésus de la crèche familiale. J’adorais mes parents qui étaient la gentillesse personnifiée. J’aurais souhaité que rien ne change, que je ne quitte jamais ce cocon de bonheur.
Mais, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Telle une course de haies, elle nous oblige à franchir des étapes qui nous font grandir paraît-il. Me voilà donc, avec la seule valise de la maison remplie de mes affaires pour un trimestre, dans le car à destination de Mende, plus précisément du collège de cette ville pour ma nouvelle vie scolaire comme pensionnaire. A la descente du bus, juste devant l’immense porte d’entrée du château du savoir, j’aurais bien poussé le cri du bébé qui vient de naître. Mais il fallait bien que le cordon ombilical jamais coupé avec mes parents, le soit un jour. C’était ce jour-là. Je le découvrais en retenant mes larmes et en serrant les dents.
Je n’étais pas maigrelet. La vie à la ferme de mes parents m’avait suffisamment musclé pour éviter les bizutages habituels que les cinquièmes imposaient aux nouveaux de sixième. Très vite, une bande de copains me happa dans un tourbillon de jeux et de rires qui me faisaient perdre la notion du temps ; en un mot, je n’avais pas le temps de cafarder. Je constatais, avec honte, que je m’éloignais doucement mais sûrement de mes parents. C’était devenir adulte, je ne le savais pas encore.
Bien formé par l’instituteur de mon village, je n’eu aucune difficulté à m’acclimater aux nouveaux enseignements que je recevais. Je me coulais dans les nouvelles matières sans difficultés. Si j’aimais les différentes disciplines, il n’en était pas de même de tous les professeurs. Celle de latin, vieille fille acariâtre. Assister à ses cours était un véritable pensum. Sans parler du professeur d’anglais, qui ne parlait que cette langue pendant toute l’heure, pour lui seul semble-t-il, car mes camarades et moi ne comprenions qu’une phrase sur dix. Il allait et venait au milieu des rangées de nos bureaux et ponctuait chacun de ses commentaires d’un claquement de règle en bois sur le bureau de l‘élève le plus proche, le faisant sursauter et craindre un mauvais coup à tout moment.
Est-ce parce que j’adorais ces deux matières ? Ou bien est-ce parce que les professeurs étaient captivants ? Est-ce la sagesse de leur grand âge ? Je buvais les paroles du professeur de sciences naturelles, comme on disait à l’époque, et celles du professeur de français. Il est vrai que mon origine rurale me facilitait grandement la compréhension de ce vieux barbu de science-nat’. Il était un puits inépuisable de connaissances. Sur la cour de récréation, il n’était pas rare qu’un petit groupe d’élèves, dont je faisais souvent partie, fasse cercle autour de lui tels les étudiants grecs autour d’Anaxagore. Il était inépuisable sur la faune et la flore de notre région et nous incitait, lorsque nous rentrions chez nous aux vacances, à être curieux de notre environnement. Quant à son collègue de français, qui ne lui enviait rien sur son âge avancé, il aimait réunir les élèves qui le souhaitaient dans une salle pour lire des passages de livres de la bibliothèque de l’école. Il adorait nous accompagner dans ce temple de l’écriture et nous présenter des livres que nous choisissions au hasard dans les rayonnages. Il en révélait suffisamment pour nous intéresser à lire le bouquin sans pour autant nous en dévoiler la teneur. Nous laisser choisir sans connaître l’ouvrage faisait partie de sa pédagogie de nous forcer à nous intéresser à ce que l’on ignorait. Avoir soif de chercher, de découvrir l’inconnu, être à l'affût en permanence de la nouveauté, toujours se poser des questions, être curieux de tout. Je savais que leur grand âge mettrait un jour fin à leur charisme et que bientôt ils feraient partie des meilleurs souvenirs de mon passage dans cette école.
Mais ces deux bons maîtres m’avaient appris, à mon insu, la seule chose qu’ils pouvaient m’apprendre et qui était capitale : ils m’avaient appris le désir d’apprendre.
Doremi
Septembre 2024
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