Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 16 - 2021 - s4

                                                Histoire de courses

 

Jennifer, séduisante jeune femme de vingt-cinq ans, parcourt nerveusement en déshabillé de satin rose fuchsia son petit appartement cosy du 15ème arrondissement de Paris. Pour la troisième fois, force est de constater que ses placards et son réfrigérateur sont aussi vides que le désert de Gobi. Rien ! Il n’y a plus rien, pas le moindre reste oublié pour son repas de midi ; même une anorexique resterait sur sa faim !

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Sans grand enthousiasme, après une douche rapide et un savant maquillage, elle se glisse dans une mini-jupe vert tendre épousant ses formes parfaites. Un top coordonné généreusement décolleté, complète sa tenue très mode. Pour terminer, elle escalade une paire d’escarpins vernis négligemment oubliés dans l’entrée.

Elle en a plus qu’assez de cette corvée quotidienne qu’est pour elle le ravitaillement alimentaire. Cette fois c’est décidé, elle va faire un « gros plein » pour au moins quinze jours pense-t-elle.

Elle connaît l’effet ravageur de son charme et se persuade sans hésiter que lors de son retour, un mâle charmant et musclé se fera une joie non dissimulée de contribuer à l’ascension vers son charmant logement de ses lourds cabas chargés de victuailles. En descendant, elle prépare d’ailleurs le terrain en décochant un irrésistible sourire à son voisin du rez-de-chaussée. Elle constate avec bonheur qu’il semble être en repos aujourd’hui.

Sautant élégamment dans sa petite Austin, elle parvient sans trop d’encombrement après une conduite un peu sportive, au parking de la grande surface qui va contribuer au remplissage de ses placards.

Son chariot récupéré, Jennifer se lance à l’assaut des rayons alléchants. Après avoir déposé plusieurs produits à usage ménager dans son caddie, elle se met en quête de produits frais, fruits et légumes. Il y en a de toutes les couleurs et de provenances aussi diverses que variées.

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Ce n’est plus un étal alimentaire mais une véritable invitation au dépaysement et au rêve de contrées lointaines. Le « Club Med » n’a qu’à bien se tenir pense-t-elle en souriant intérieurement.

Elle prendra viande et poisson en fin de courses ; pour préserver la fraîcheur au maximum c’est plus raisonnable.

Elle souhaite maintenant rajouter quelques laitages et autres fromages allégés à ses provisions, belle silhouette oblige.

Concentrée sur les pourcentages en matières grasses des produits qu’elle envisage d’acheter, la jeune femme se surprend à tourner brusquement la tête vers un client la frôlant sans gêne et dont l’odeur et le regard libidineux l’interpellent. Faisant mime de chercher un camembert, il en a déjà tâté plusieurs, il semble littéralement hypnotisé par l’échancrure de son T-shirt.

L’exhalaison repoussante se dégageant de l’individu hirsute aux mains maculées de crasse qui se tient toujours aussi poche d’elle, incite Jennifer à reculer et sans se démonter elle hurle littéralement afin que tous les clients en profitent :

  • Vous voulez peut-être la marque de mon soutien-gorge aussi !

Désarçonné par la vivacité de la réaction, le clochard bafouille ce qui pourrait être des excuses en prétendant avoir des problèmes de vue pour lire les dates de péremption. Personne n’étant dupe, quelques plaisanteries grivoises fusent dans l’allée crémerie et sans se départir de son assurance la belle cliente reprend :

  • C’est curieux, je n’ai pas le souvenir d’avoir mis un collier de mini « babybel » avant de partir de chez moi ce matin !

Cette fois c’est un chef de rayon, alerté par les rires des clients, qui met fin à l’incident en reconduisant poliment mais fermement le client malodorant vers la sortie.

Son odeur entêtante et écœurante la poursuivant, la jeune femme décide de faire l’acquisition d’un déodorant dont elle n’avait pas la nécessité en arrivant et d’en vaporiser l’air ambiant.

Cette dernière termine son approvisionnement comme prévu par l’achat de viande maigre et de filets de poisson ; elle se surprend à trouver l’odeur de poisson agréable comparée à celle l’individu l’ayant importunée…

Rejoignant une file afin d’acquitter le montant de ses achats, la jeune personne comprend très vite que décidément, ce n’est pas son jour de chance. Elle commence à faire la queue et s’aperçoit rapidement que ça n’avance pas. La caissière derrière ses lunettes embuées par les larmes semble avoir des difficultés à présenter les articles devant le lecteur de prix.

Enfin arrivée à la caisse, Jennifer s’enquiert discrètement des soucis causant un tel chagrin.

  • C’est… c’est… dit la caissière en hoquetant … c’est bubl… il est mort.
  • Que c’est triste…, je comprends…, mais je suis désolée, mais je n’ai pas compris son nom…
  • C’est Bubulle
  • Ah ! votre chat ou votre chien j’imagine ?
  • Non, … mon poisson rouge…il s’est suicidé…de chagrin…en sautant pardessus son bocal. Il était veuf depuis une semaine… Le plus triste c’est qu’il a fini dévoré par le chat de mon affreux voisin, un alcoolique invétéré.

Et entre deux sanglots, la pauvre hôtesse de caisse regrette sincèrement de n’avoir pu donner une sépulture descente à ce cher Bubulle.

Jennifer a du mal à garder son sérieux mais parvient tout de même à manifester un semblant de compassion pour la disparition du pauvre cyprinidé.

Revenant à sa voiture, quand la jeune femme tente de charger toutes ses provisions dans le coffre, celui-ci s’avère nettement trop petit et elle doit en mettre une partie dans l’habitacle. Jennifer pense alors que pour un « plein de courses » c’est vraiment un gros plein ; au moins elle va être tranquille pendant de longs jours.

Elle repart vivement vers son domicile. Hélas, la circulation s’étant intensifiée, un ralentissement forcé s’impose. Roulant au pas dans une rue commerçante elle en profite pour admirer les vitrines. Jennifer prend note mentalement de quelques toilettes très seyantes pour le printemps prochain. Arrivant enfin devant son petit immeuble, la jeune femme en pleurerait de colère ; un énorme camion de déménagement en empêche l’accès par l’entrée principale. Elle doit se résoudre à emprunter une porte de service donnant sur une voie parallèle.

Ne trouvant pas de place pour stationner son véhicule, elle reste en double file, le temps d’aller solliciter l’aide de son charmant voisin. Malgré l’urgence à trouver du renfort la belle prend quelques secondes afin de vérifier dans le miroir du hall d’entrée coiffure et maquillage.

Alors qu’elle sonne nerveusement chez celui qui va lui apporter secours et réconfort, elle commence à entendre un concert d’avertisseurs dans la petite rue qu’elle obstrue avec sa propre voiture. Désemparée elle redouble les coups à la porte de l’appartement. Quand enfin l’huis s’entrouvre, Jennifer se trouve face à une superbe créature du genre soubrette délurée qui la laisse bouche bée. Sans aucun doute, le cher voisin a délégué à sa charmante amie le soin d’ouvrir la porte et ne daigne même pas se présenter au coup de sonnette. Sûrement encore un macho pensa-t-elle !

Le bruit des klaxons s’intensifiant elle revient en courant ou presque, mini-jupe et hauts talons limitant la rapidité de sa course, afin de libérer le passage aux autres véhicules. Quelle n’est pas sa stupeur de voir sa voiture le nez en l’air, accrochée à la flèche d’un engin de la fourrière sévissant dans le quartier.

Elle allait en faire une syncope de rage quand apparait en courant, le beau voisin ruisselant de sueur les écouteurs sur les oreilles. La jeune femme lui fait des grands signes désespérés alors qu’il s’arrête pour discuter avec le chauffeur du camion fourrière.

  • C’est ma voiture ! Arrêtez, toutes mes courses sont dedans, je n’ai plus rien à manger ! Vous ne pouvez pas me faire ça !

Le charmant joggeur reconnaissant la séduisante locataire, revient vers le conducteur et lui adresse quelques mots. Et c’est ainsi que rapidement la petite Austin repose ses roues sur le macadam parisien. S’approchant de Jennifer le beau sportif l’invective gentiment :

  • Je me présente. Commissaire Belallure. Quelle idée de laisser votre véhicule en double file ! Vous vivez dangereusement ! Nous sommes à Paris, vous semblez l’avoir oublié !

Décochant son plus beau sourire sur ses lèvres pulpeuses et les yeux mouillés de larmes, sa délicieuse voisine lui conte alors brièvement ses déboires de la matinée.

  • Mettez vos cabas dans l’entrée et filez trouver une place digne de ce nom ! Je me charge de les surveiller ! Vous habitez bien au troisième ?

Avec l’aide du commissaire, tous les paquets se retrouvent prestement débarqués et dans un bruit assourdissant de klaxons, Jennifer s’enfuit plus qu’elle ne démarre de cette maudite rue.

Réintégrant son immeuble, une nouvelle frayeur l’assaille. Plus de courses dans l’entrée ! Dans la mesure de ses possibilités, elle grimpe rapidement les trois étages et se retrouve face au policier tout sourire dehors.

  • Désolé, je n’ai pas les clefs, sinon je me serais un plaisir de rentrer et de ranger tout cela en désignant les sacs étalés devant la porte !

Pas si mufle qu’il en a l’air pensa-t-elle en se confondant à nouveau en excuses.

  • Je suis navrée, je vous ai fait perdre votre temps et votre épouse qui vous attend ; j’espère qu’elle ne vous en voudra pas trop !
  • Ma femme ? Dieu m’en préserve ! C’est Claudine la femme de ménage qui vous a ouvert ! La vie est trop courte et avec mon métier ce ne serait pas responsable !

Il quitta l’appartement de Jennifer non sans avoir fait promettre à la jeune femme d’accepter l’invitation à la petite soirée qu’il doit donner le soir même à l’occasion ses trente ans.

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Vraiment sans rancune le commissaire !  Ou tout simplement sous le charme !

                                                                                                                  KIKA.28.10.2021.



19/11/2021
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