Atelier 16 - 2023 - Sujet 2
Vanessa
21 ans, brune, cheveux courts, yeux vifs couleur noisette, sourire franc, Vanessa, du haut de ses 168cm, respire la joie de vivre. Brillante étudiante en droit à Assas II, en 4è année, le barreau l’attend ; elle en est sûre. Pas avocat d’affaires aux honoraires conséquents comme ses camarades se prédestinent. Non ! Elle veut se consacrer à la défense de la veuve, des femmes battues, des laissés-pour-compte, des sans-papiers, des plus démunis. Ses amis se moquent de ses principes, elle qui devrait sortir major de promotion. Elle n’en a que faire. Elle tient à ses valeurs qui lui viennent de son grand-père, ancien syndicaliste, ayant voué toute sa vie aux camarades, et elle entend bien qu'il en soit ainsi de sa vie.
Ce week-end de 4 jours est l’occasion rêvée pour inaugurer sa Clio rouge, sa première voiture. Elle est d’occasion, mais Vanessa en est très fière et veut la montrer à sa Mamie qui l’a aidée à la financer. Direction l’étang de Thau. Vanessa est d’autant plus motivée qu’elle ne s’est pas rendue chez ses grands-parents depuis au moins 5 ans. Le bac, la fac, les copains, bref, que de bonnes excuses pour échapper à ce qui lui paraissait être une corvée. Elle le regrette maintenant. Aujourd’hui, elle veut se faire pardonner et rattraper si possible le temps perdu. Son petit copain, un gentil garçon de la même fac, aurait bien voulu participer à ce week-end dans le Sud de la France, se voyant déjà farnienter sous les doux rayons du soleil et courir avec sa bien-aimée sur les plages. Vanessa s’y est opposée catégoriquement; ce voyage ne le regarde pas, enfin pas encore; ce n’est, pour le moment, qu’un petit copain, faut pas tout mélanger.
A la vitesse de sa petite Clio, la journée est nécessaire pour avaler tous les kilomètres. Mamie guette la voiture derrière les carreaux de la cuisine. Sa petite fille lui a envoyé une photo. Le moteur tout juste arrêté, elles se jettent dans les bras l’une de l’autre, se couvrant de gros baisers humides de larmes. Mamie ayant admiré la voiture sur tous ses côtés, s'ensuit un succulent repas prémices d'une soirée entre filles, peuplée de souvenirs et d’émotions, où l’heure du coucher n'existe pas.
Ah, ses grosses tartines de pain de campagne, trop larges pour la bouche, avec un premier étage de beurre et un second dégoulinant de confiture de fraises de mamie. Oublié le rachitique toast parisien grillé, couvert de cette pâte à tartiner si poisseuse, avalé sans mâcher, debout sur la table de travail de la cuisine, à la vitesse du TGV. Ici, le petit déjeuner est sacré. On le respecte car de lui, dépend la réussite de la journée. Comme elle achève sa dernière bouchée, mamie lui dit d’aller au ponton, Papy lui a préparé une surprise. Que ne lui avait-elle pas dit plus tôt ? Une surprise de Papounet ? L’amour de sa vie de petite fille. Elle n’avait pas pu venir à ses obsèques l’an dernier à cause d’un partiel. Elle en avait pleuré toute la journée.
À l’extrémité de l’embarcadère, la petite barque blanche l’attend tel un chien allongé sur le ventre, gueule haletante, pattes en avant, dans l’espoir d’une promenade. Avec elle, ils allaient pêcher ensemble des journées entières. Il l’a retapée entièrement, repeinte et rebaptisée : Vanessa. Une grande chaleur de bonheur l’envahit des pieds à la tête, la figeant sur place. Derrière un voile de larmes, elle n’ose s’en approcher. Grâce aux courants d’eau, le pointu tire sur les amarres comme pour dire à la jeune femme : aller, monte à bord, on va faire un tour.
Vanessa largue les amarres et donne les premiers coups d’avirons. Très vite, elle retrouve la manière de tenir les rames comme son Papy lui a enseigné, souquant avec rythme et efficacité. Fort du vigoureux petit déjeuner pris ce matin, Vanessa est rapidement au milieu de la pièce d’eau. La journée est belle, le vent nul, le soleil baigne l’étang dans une douce chaleur automnale. Elle s’allonge pour mieux se perdre entre ciel et eau. Une ombre se penche sur son visage. Elle entend la voix rocailleuse et profonde de son Papy. Bien qu’à contre-jour, elle distingue nettement ses cheveux blancs, sa peau ridée, ses yeux espiègles et sa belle moustache blanche piquante. Vanessa sent son baiser sur son front, comme il faisait à chaque coucher après lui avoir lu une histoire. Se redressant lentement, elle s’assoit sur le banc avant, et l’aperçoit assis sur le banc arrière, souriant malicieusement. Elle ne montre aucun signe d’étonnement, comme si sa présence était naturelle, comme si elle s’y attendait, comme s’ils avaient rendez-vous. Avec la peur de rompre le bonheur qui l’envahit, elle rame très doucement, faisant glisser l’embarcation sur les rides de l’eau. Ils se sont parlés toute la matinée, de ce qu’elle apprenait à la fac, du métier qu’elle voulait faire, de son petit copain, de sa Clio, de ses parents trop engloutis par leur métier pour s’occuper d’eux, de son petit frère qui ne fait rien pour réussir son baccalauréat, et, surtout, lui demande pardon de ne pas être venue l'accompagner lors de son dernier voyage.
Depuis le rivage, mamie à grands signes indique que le déjeuner est prêt. Grand-père l’embrasse et s’évapore, mais Vanessa sent sa présence à ses côtés. Elle n’est pas seule dans cette embarcation, elle ne le sera jamais.
Le lendemain matin, Mamie, qui a tout compris comme toujours, lui assure que de passer la journée sur l’étang lui ferait le plus grand bien, avant de retrouver les pollutions parisiennes. Qu’elle ne s’inquiète pas, elles auront pour elles seules toute la soirée.
Vanessa, panier pique-nique bien garni, s’exécute avec plaisir. Pêcher toute la journée avec Papy comme lorsqu’elle était enfant, sera merveilleux. Le temps passe très vite. Ils ont tellement de souvenirs à se remémorer. Par moments, leur conversation est enflammée et entrecoupée de parties de rigolades, par d’autres moments elle est silencieuse, le regard fixé sur le bouchon de la ligne que Vanessa laisse glisser nonchalamment. C’est fou tout ce que l’on peut se dire en silence devant ce petit objet en bois dansant au gré des flots. Ils rêvent en contemplant le soleil sur l’horizon. Ils se laissent emporter par le vol des flamants roses. A la timide apparition de l’étoile du berger, Papy l’accompagne sur une partie du retour, puis, s’évanouit dans les premières ombres du soir. Les yeux humides de tristesse mais le cœur empli de joie, Vanessa amarre le petit vaisseau enchanté et s’éloigne lentement, non sans avoir envoyé un dernier baiser volant en direction de l’étang.
Le jour suivant est celui du départ. Tôt le matin, Vanessa se rend au ponton embrasser son Papounet. Elle lui promet de revenir très vite et le remercie pour l’écoute qu’il a eue, les encouragements qu’il lui a prodigués de poursuivre sa carrière professionnelle comme elle l’entend. Sur son insistance, elle lui promet de revenir la prochaine fois lui présenter son petit copain, même si cela la chagrine de devoir partager ces voluptueux moments avec quelqu’un qui n’y comprendra rien, voire sera moqueur. Grand-père la rassure, il en fera son affaire et ce gentil garçon sera le bienvenu.
Le retour à la capitale se fait entre essuie-glaces et mouchoirs.
Dorémi
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