Maridan-Gyres

«Il est passé ! Le Père Noël est passé!»

Les enfants sautent d’impatience à l’idée de déballer leurs nouveaux jouets.

Sous le sapin joliment décoré, des cadeaux de toutes tailles, couverts de papier brillant, sont entassés.

Joanna sait ce qu’ils contiennent, c’est elle qui les a emballés, comme chaque année, pour chacun de leurs trois enfants.

C’est elle qui les a choisis, étiquetés, dissimulés au fond du garage en attendant le grand jour. Sauf un. Un petit paquet rouge brillant, posé à l’écart des autres.

D’où vient-il ?

Ce n’est pas elle qui l’a apporté là.

Un des enfants, l’aîné peut-être, aurait acheté un cadeau ? Impossible, il ne reçoit aucun argent de poche.

Un de leurs amis hier soir l’aurait déposé sans rien dire ?

Marc, son mari ?

Joanna chasse cette idée bien vite, cela fait douze ans qu’il ne lui a rien offert.

Et d’abord, à qui est-il destiné ? Il ne porte pas d’étiquette.

Peut-être Marc s’est-il acheté un cadeau pour lui-même ? C’est peu probable, le format de la boite n’est pas celui d’une bouteille d’alcool.

Perdue dans ses questions, Joanna regarde sans les voir ses enfants déchirer le papier brillant de leurs cadeaux.

Marc, avachi au fond du canapé, les pieds sur la table du salon, commente la soirée de la veille, en se versant un nouveau verre de vin.

• Elle était dégueulasse, ta dinde, hier soir. T’es vraiment nulle en cuisine ma pauvre, pas de changement, tu t’améliores pas ! Et ta soi-disant amie, cette Paula, elle se prend pour qui ? Avec tous ses bijoux, elle brillait autant que ce foutu sapin. Quant à son mari, si tu crois que j’ai pas vu ses pantomimes pour te faire du rentre-dedans...

Joanna n’entend pas son mari. Elle n’écoute pas. Les questions de Marc n’attendent aucune réponse.Elle s’interroge toujours sur la présence de ce petit paquet rouge au pied du sapin. Et s’il lui était vraiment destiné ?

Elle se prend à rêver... des souvenirs de Noël plus heureux la bouleversent, faisant remonter des sentiments de bonheur et des souvenirs enfouis depuis maintenant 13 ans. Quand elle pouvait fêter Noël avec ses parents, avant que Marc refuse définitivement de retourner chez « tes vieux bourges», comme il dit, au motif que son beau-père l’a traité d’ivrogne ».

Quand avec sa mère, elles s’enfermaient tout l’après-midi dans les parfums truffés de la cuisine et se léchaient les doigts en étalant la crème de marron sur la bûche.

Quand son père tenait absolument à ce que, même devenue adulte, le cadeau sous le sapin pour sa fille soit une surprise, manière pour lui de retrouver son enfant...

Elle est brutalement tirée de ses souvenirs par le ton rogue de son mari, agacé par les exclamations joyeuses et bruyantes des enfants. Ils ont ouvert tous leurs cadeaux, Joanna ne s’en est même pas rendue compte, perdue dans son rêve. Ils ont éparpillé des morceaux de papier d’emballage dans toute la pièce. Joanna commence à les ramasser, Marc déteste le désordre, ce genre de perturbation du petit confort de son habitat peut le mettre de très mauvaise humeur.

Le petit paquet rouge est toujours là. N’y voyant pas leur prénom, les enfants n’y ont pas touché. C’est étrange, pense Joanna, on dirait qu’il brille plus fort que tout à l’heure...Joanna balaie la pièce, vide et remplit à nouveau le lave-vaisselle, emballe les restes du repas à congeler, mais son esprit est toujours irrésistiblement attiré par le petit paquet scintillant abandonné au pied du sapin. Marc ne l’a pas vu, semble-t-il... Toujours du fond du canapé, un casque sur les oreilles, il actionne nerveusement une manette de jeu vidéo,les yeux rivés sur l’écran de la télévision du salon.

Il n’a pas non plus entendu le crissement de pneus sur le gravier de l’allée devant la maison.Derrière la baie vitrée du salon, Joanna a eu l’impression de voir rapidement passer quelqu’un. Qui peut être cet intrus dans le jardin, un matin de 25 décembre? L’homme semblait plutôt âgé, barbu, avec un manteau rouge

Christine