Maridan-Gyres

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Atelier 8 - 2020 - sujet 4

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Quand Angélique avait finalement décidé de reprendre le petit hôtel de famille après la mort de ses parents, elle ne s’attendait pas à ce qu’elle allait découvrir.

L’acte de succession chez le notaire faisait état de six chambres, dans une bâtisse ancienne, située à la sortie du village.

 

Angélique s’était dit que si son avenir devait être hôtelier, elle devait se rendre sur place. Ayant coupé les ponts avec ses parents depuis de longues années-au plus fort de leur mésentente, Angélique se demandait même comment diable elle était leur fille - elle ne connaissait pas l’endroit.

Elle coupa le contact, mais hésita à sortir de la voiture, Une pluie diluvienne, inattendue, battait le parebrise, Le ciel s’était brusquement obscurci, peu avant son arrivée.

 

Angélique n’avait pas eu de mal à trouver une place pour se garer juste devant l’Hôtel des Voyageurs, la rue était déserte.   

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Remontant la capuche de sa parka sur sa tête pour s’abriter, elle sortit de la voiture et se précipita vers la maison, dont l’aspect, à la fois étroit et massif, était plus celui d’un manoir que d’un hôtel. Elle mit du temps à trouver la bonne clef, parmi plusieurs sur un trousseau que le notaire lui avait remis, en le poussant vers elle d’un seul doigt sur son large bureau.

 

Angélique entra et regarda autour d’elle. Une épaisse table en chêne tenait lieu de comptoir d’accueil ; le bois était légèrement incurvé par l’usure et comportait une fente de rangement. Où avait-elle déjà vu ce type de table ?

 

Angélique se souvenait qu’en matière de décoration, sa mère avait un goût parfois étrange pour les meubles de métier. Au-dessus, un petit meuble mural de sept casiers supportait six clés identiques, chacune portant son numéro sur une petite plaque ronde en céramique décorée d’un minuscule trident doré ; la septième, non crantée, noire, ne portait pas de numéro.

 

Angélique décrocha les deux premières clés, et s’engagea dans l’escalier, afin de commencer la visite. Le tapis recouvrant les marches était usé, parfois maculé de petites taches rondes. Angélique nota qu’il faudrait le remplacer.

 

Au premier étage, un petit couloir desservait les premières chambres.

Notant qu’elle aurait à faire changer la serrure dont le mécanisme bloqua plusieurs fois, Angélique pénétra dans une première pièce, sommairement meublée d’un lit dont l’encadrement de bois était sculpté de personnages cornus, d’un petit bureau d’angle, une chaise et un fauteuil cabriolet capitonnés du même lourd tissu de velours grenat que les rideaux. Angélique ajouta mentalement à sa liste de travaux le remplacement du fauteuil, dont les accoudoirs étaient entaillés, tout en se demandant comment ils avaient pu être lacérés ainsi.

 

Angélique frissonna. Sa parka était mouillée et l’hôtel n’était pas chauffé. En ressortant dans le couloir, elle perçut un courant d’air qui s’enroula autour de ses jambes.

 

La deuxième chambre était identique à la première, hormis la couleur des tissus d’ameublement qui étaient verts et le fauteuil d’époque Régence dont les pieds étaient renforcés de petits sabots arrondis. Il conforta Angélique dans l’idée qu’elle et sa mère n’avaient aucun goût commun. Elle avait bien fait de prendre le large, à 17 ans.

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Angélique redescendit au rez-de chaussée pour prendre les clés des chambres restant à visiter sur le tableau de l’accueil, Elle avait de plus en plus froid. Cet hôtel était décidément plein de courants d’air, elle avait l’impression d’en sentir le souffle sur sa nuque.

 

La visite des quatre chambres suivantes confirma à Angélique la nécessité d’importants travaux de réfection,d’isolation et de décoration.

 

Elle s’assit sur le lit de la sixième chambre. La pluie battait toujours les carreaux, les éclairs de l’orage illuminaient brièvement la chambre.  Etait-il raisonnable d’entreprendre ces travaux ? Souhaitait-elle réellement vivre tous les jours dans cette maison lugubre., même retapée, et vraiment glaciale de surcroît ?

 

Fatiguée par le trajet du matin depuis Paris, frigorifiée, Angélique se glissa sous le lourd édredon et se laissa gagner par le sommeil.

 

A son réveil, Angélique éprouva une sensation étrange. La nuit était tombée. Un brouillard épais enveloppait la maison, maintenant plongée dans le noir, sauf une pâle lueur qui semblait provenir de l’intérieur du miroir . On ne distinguait plus l’horizon par la fenêtre, les rideaux tirés accentuaient l’impression d’enfermement.

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Ces rideaux… qui ondulaient maintenant légèrement dans le courant d’air, ce courant d’air, de plus en plus froid, avec un bruit de souffle… Ce souffle qui, même glacé, embuait le miroir . Angélique frotta le bout de ses doigts sur la glace. Ce geste déclencha une violente lumière qui l’obligea à protéger ses yeux avec ses mains.

 

Aveuglée par ce flash bref comme celui d’un appareil photo, Angélique ne remarqua pas la femme qui se glissait par l’entrebâillement de la porte. Vêtue d’une longue robe de mousseline blanche comme ses longs cheveux, ses pieds équins ne touchaient pas le sol. Elle tenait dans sa main diaphane une feuille de boucher.

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Dans les escaliers qu’elle dévala à toute allure, au risque de tomber, Angélique fut assaillie par des voix fortes, des appels au secours, des supplications ; tous les murs de la maison semblaient lui renvoyer des hurlements stridents et des chocs sourds. Elle reconnut la voix de sa mère : «  C’est sans espoir, ma fille, tu ne nous quitteras plus ».

 

Angélique traversa le vestibule en courant, portée par l’épouvante ; elle jeta au passage les clés des chambres sur le billot de l’entrée.

 

Dans sa fuite éperdue pour quitter ces lieux diaboliques, elle eut juste le temps de remarquer que le casier de la septième clé était vide et qu’un couteau rutilant avait été inséré dans la fente du billot.

 

Christine



01/12/2020
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