Maridan-Gyres

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Atelier 19 - 2021 - sujet 2

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Parenthèse

 

Un plateau en laque de chine, deux tasses de porcelaine fleurie aux délicats tons de bleu semblaient avoir suspendu le temps sur la table de bois peint de la chambre myosotis. Ces objets inanimés paraissaient avoir une âme et l’envie de se rappeler la parenthèse qu’avait été la rencontre de ces amants d’un jour ou plutôt d’une nuit, Raphaël et valentine.

Elle descendait vers le midi, tentant vainement d’oublier les dernières heures qui venaient de faire basculer sa vie pourtant comblée d’espoirs et de projets.

Valentine avait dû se rendre à l’évidence. Le futur envisagé avec son bel amour s’était tristement évaporé comme soufflé par un vent mauvais.

La jeune femme refusait pourtant ces dernières semaines l’idée d’une rupture. Leur passion ne s’était pas érodée avec le temps mais leur projet de vie n’avait plus rien en commun.

L’objet de ses tourments avait envie d’évasion, de terres lointaines, de mettre de la distance avec un présent qu’il ressentait comme trop ronronnant pour son jeune âge.

Valentine, d’abord séduite, avait adhéré de tout cœur à ce dessein qui la faisait rêver avec sa perspective d’aventures, de découvertes et de dépaysements.

Mais au fil des mois, le compagnon de ses jours commença à envisager une expatriation de longue durée. C’était un véritable tour du monde dont il rêvait et pensait même se fixer à l’autre bout de la planète pour y fonder famille avec épouse et enfants.

La jeune femme tout en tact et douceur tenta de le dissuader de cette absence définitive, loin de leur pays, de leurs parents et amis. De plus elle aurait dû abandonner un métier qui la passionnait et dans lequel elle s’investissait totalement. Malgré ses arguments, la jeune femme ne parvint à faire évoluer son jeune amant dans ses funestes projets.

La rupture ainsi consommée elle décida, afin de tourner la page définitivement, d’un voyage vers le midi ou elle espérait que soleil et chaleur lui donneraient le courage de se tourner vers l’avenir.

 

Depuis la Touraine où il résidait, Raphaël avait sauté précipitamment dans son véhicule, après avoir fourré le strict minimum dans un sac oublié sur le lit de l’infamie en maudissant la compagne infidèle.

 En effet, libéré plus tôt que prévu d’un congrès qui devait le retenir toute la semaine, il s’était fait une joie de surprendre agréablement sa chère et tendre par son retour anticipé.

Hélas, qu’elle n’avait pas été sa douloureuse déconvenue en surprenant sa belle maitresse dans les bras de son plus fidèle ami, enfin le croyait-il jusqu’à ce jour maudit.

La violence de la scène qui suivit cette accablante découverte n’eut d’égal que ce qu’éprouva l’infortuné Raphaël. En quelques secondes sa vie venait de s’effondrer avec ce terrible sentiment de double trahison.

Le film en accéléré de ce terrible instant le fit saccageur, meurtrier, engagé dans la légion, pendu. Les amants sidérés ne durent leur salut qu’à la puissance de la déferlante dont le jeune homme fut victime l’entrainant dans une prostration abyssale.

Quand enfin il se reconnecta à la réalité, il était seul au milieu de cette chambre dont le désordre et les effluves amoureuses le replongèrent en plein cauchemar.

Partir. Partir loin de tout cela ! Peut-être allait-il se réveiller et même se mettre à rire de cette mauvaise plaisanterie qu’il croyait avoir vécu. Il balança son bagage à l’arrière de sa voiture et démarra rageusement en direction de n’importe où, pourvu que ce soit loin, très loin de ce qu’il venait de vivre.

Il roula quelques heures sans même avoir conscience des kilomètres qu’il dévorait. A plusieurs occasions son ange gardien ou celui des automobilistes qu’il croisait lui évita le fatal accident.

Avec la fatigue de la conduite une irrépressible envie de dormir s’empara de lui. La tension qui l’habitait depuis son départ, semblait enfin lâcher prise. Il pensait faire une pause de quelques minutes sur une aire de repos quand son regard fut attiré par l’enseigne d’une auberge engageante proposant gîte et couvert. Il n’avait pas vraiment faim mais se sentant épuisé il poussa la porte de l’établissement pour y prendre au moins un café et peut-être retenir une chambre.

L’atmosphère chaleureuse du lieu l’enveloppa dès son entrée. Une imposante cheminée ou se consumaient des bûches ardentes malgré la douceur de la température retint son attention un instant. Il n’avait envie de rien, se trainait plus qu’il n’avançait et en vint à se demander ce qu’il faisait dans cet endroit inconnu au milieu de nulle part.

Balayant la pièce d’un regard incertain, il fut malgré tout interpellé par la détresse remplissant les yeux d’une jeune cliente. Son regard brillant de larmes n’exprimait que douleur et chagrin. En dépit de sa propre détresse, Raphaël se sentit ému et bouleversé par ce visage chaviré.

Attitude que jamais il ne se serait autorisé il y a encore quelques heures, il se dirigea lentement vers la jeune femme. Leurs regards se croisèrent, surpris, aussi étonnés l’un que l’autre de ne pas tourner la tête devant une telle approche.

Demeurant mutique à l’approche de Raphaël, ce fut lui qui tenta d’engager timidement le dialogue.

 

  • Bonjour. Excusez-moi, au risque de vous sembler importun, vous me paraissez tellement en peine que je n’ai pu m’empêcher de tenter de vous apporter un peu de réconfort. Si je vous dérange, je disparais immédiatement…d’ailleurs j’ai déjà l’impression de ne plus exister depuis quelques heures…

 

Valentine, dans un état second ne réagit pas tout de suite. Elle eut tout juste le sentiment que cet homme malgré son audace avait l’air aussi perdu qu’elle et ne lui voulait aucun mal.

 

  • Je suis désolée, mais je suis assez mal en point et ma compagnie risque de ne pas être des plus joyeuse. Cependant, vous ne me semblait pas beaucoup plus brillant que moi sans vouloir vous offenser lui dit-elle en esquissant un pauvre sourire.

 

Raphaël eut l’impression de rencontrer une âme sœur dans sa détresse et lui sourit avec beaucoup de douceur…

 

Le lendemain, quand la lingère entra dans la chambre myosotis, seul le plateau en laque de chine avec ses deux tasses de porcelaine fleurie aux délicats tons de bleu restaient, oublié sur le coin d’une jolie table de bois peint.

Le thé refroidi dans l’une des tasses laissait deviner le départ précipité de l’un des amants d’un soir. Pas question d’adieux, les derniers étaient encore trop douloureux…

Ils s’étaient étourdis d’amour l’espace d’une nuit sachant bien qu’ils étaient encore trop vulnérables pour déjà envisager un nouveau futur.

Il fallait laisser le temps au temps, tenter de continuer à vivre en séchant ses larmes et garder espoir dans un avenir plus clément.

 

KIKA.31.12.2021.

 



13/01/2022
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