Atelier 2 - 2023 - Sujet 5
Réminescences |
Allongée nonchalamment sur un transat, un verre de « piña-colada » à la main, je me laisse envahir par la sérénité apaisante des eaux turquoise du lagon. Au loin, pélicans et pailles en queue, en un ballet nautique savamment orchestré, plongent aux derniers rayons du soleil. Dans la douceur du crépuscule, quelques nuages poussés par les alizés s'étirent en longs voiles aux couleurs chatoyantes. Perchées dans les palmes des cocotiers qui bordent la plage, les petites grenouilles entament leur concert à faire pâlir de rage les cigales de Provence. À l'horizon, le soleil décline doucement, il se pare d’un rouge flamboyant.
Sans impatience, j'attends que l'astre du jour glisse dans les profondeurs océanes pour saisir son dernier souffle, cet inoubliable rayon vert, si fugace, si évanescent, si propice aux légendes. Heureux le chanceux qui peut l’entrevoir une fois dans sa vie. Serai-je l'élue ! ….
En attendant ce moment providentiel, mon esprit divague. Des images, des parfums, des murmures virevoltent tels des lucioles libérées des profondeurs de ma mémoire.
Tiens donc ! Voilà une petite fille, les cheveux coupés à la « Jeanne d'Arc », un maillot de bain antédiluvien évadé des années 50... Elle court sur le sable chaud, elle rit aux éclats. Délivrée des ravages d'une guerre sans nom, elle n'a plus peur. Elle est libre, libre de courir, bondir, sauter, nager avec une ribambelle d'enfants de son âge. Ce fut son plus bel été que celui de 1962, son premier été de légèreté, d’insouciance comme devraient en connaître tous les enfants du monde.
À présent, un parfum de jasmin me titille les sens. C'est la même plage, au crépuscule cette fois-ci. Deux adolescents se tiennent timidement par la main. Ils n'osent pas se regarder. Elle est toute chamboulée, son cœur bat la chamade. Il est grand, musclé, ses cheveux blonds bouclés virevoltent dans la brise, ses yeux d'un bleu acier et sa petite fossette à la commissure des lèvres illuminent son visage. C'est tout le portrait de Steve McQueen dans le feuilleton « au nom de la loi ». Toutes ses copines sont vertes de jalousie ! Dommage pour elles, il l'a choisie.
C'est elle qu'il emmène aux « booms », ensemble ils dansent tendrement enlacés sur « Only You » ! … Et puis l'été s'efface, les amours de jeunesse trépassent, il ne reste plus que « Josh Randall » et les Platters ! ...
Hou là ! Été 1968 ! La plage s’enflamme !... Autour du feu de camp, la révolte gronde. La petite fille a bien grandi. Avec ses amies, elles refont le monde : des discutions interminables embrasent l'assemblée. Elles revendiquent leur liberté de penser. Fini les dictats des « vieux croûtons » comme « sois jeune et tais-toi », il est vrai qu’elles sont jeunes mais elles ne se tairont plus.
L'émancipation des femmes fait aussi débat. Elles ne se soumettront plus, ? Sur leurs tee-shirts, en lettre de feu, il est écrit : « Ni dieu, ni maître ».
Les plus téméraires abordent les sujets encore tabous comme la liberté sexuelle, le droit à la contraception ou à l'avortement...
Si elle pouvait parler, cette plage aurait tant d’histoires à raconter ! …. Aujourd'hui, elle décrirait une femme au crépuscule de sa vie, allongée sur son transat, légèrement grise, émue par des souvenirs trop longtemps bâillonnés et qui attend, sans trop y croire, le rayon vert de la légende, passerelle entre deux mondes.
Occitania
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