Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 4 - 2021 - Sujet 3

 

 

À chaque chose malheur est bon !

 

« La première chose que je vis d’elle fut sa cheville, délicate, nerveuse, qu’enserrait la bride d’une sandale bleue ». Elle m’écrasait la joue avec force, face de trois-quarts contre terre, en imprimant des impulsions régulières pour bien me faire comprendre sa détermination. Le reste de mon corps gisait de manière pitoyable en alignement de ma têt, 1 m 90 d’une carcasse immobile, inerte, vaincue. Quant à mon coude… proche de la fracture.

 

Quelques minutes plus tôt…

 

Sûr de moi, de ma condition physique, et, il faut bien le dire, de mon charme hypnotique, je décidai de pousser la porte du centre de remise en forme qui venait de s’ouvrir dans le quartier des affaires. Ce qui m’intéressait le plus : les cours de Wushu, dispensés par le maître, en chinois, Laoshi Kursakaï, dont la technique renommée précédait le pas. Fan absolu de Bruce Lee, mon ambition était de pratiquer cet art de self-défense, afin d’améliorer mon potentiel physique et mental. Ah ! Développer mon « esprit chevaleresque », et « les vertus de la sagesse » propres à séduire la gent féminine ! Je me savais largement capable de réaliser des coups de pied volants ou de grands écarts retombés après un saut ! Tutoyer mes limites, voire les repousser, atteindre ma propre perfection dans l’instant, et pratiquer avec le cœur… Vaste programme que je relisais sur le flyer trouvé à l’accueil de la city, et que je m’étais bien évidemment approprié.

 

Si j’avais pratiqué judo et Taekwondo dans mes jeunes années, n’avais-je pas trop perdu de cette humilité, de cette modestie, ces valeurs morales propres aux arts martiaux ? Dans le milieu des affaires où j’évoluais depuis la dernière décennie, j’étais devenu un requin tellement impitoyable que l’on me surnommait « Les dents de la mer » ! Je ne lâchais rien, déchiquetant mes adversaires jusqu’à la moëlle. Un killer du marketing !

 

Bref ! J’avais décidé de m’inscrire aux cours de Laoshi Kursakaï, animé d’une détermination farouche : celle de transcender à la fois mes capacités physiques par le combat et la coordination, mais aussi de tempérer mon esprit pour le rendre encore plus affuté. Un long travail en perspective donc, dont je ne doutais absolument pas de l’issue. Impressionner le maître et ses élèves ! Imbu de moi-même ? Quand on a une réputation à tenir, on peut même être en totale contradiction avec les principes les plus élémentaires de l’art martial que l’on ambitionne de maîtriser.

 

À l’accueil du centre de remise en forme, j’étais en train de remplir mon bulletin d’inscription, lorsqu’une douce fragrance de vanille Bourbon envahit mes narines, et me fit détourner la tête. Une silhouette féminine que je devinais altière et déterminée, approchait du comptoir d’accueil. Ni une ni deux ! Le prédateur qui sommeillait en moi se réveilla. Je me décalai d’un pas, obligeant ainsi la divine promesse à en faire de même pour ne pas me percuter. Cette entrée en matière, si j’ose dire, avait maintes fois fait ses preuves ! Un tourbillon d’étoffe virevolta en même temps qu’une voix flûtée demandait :

 

—     Puis-je vous remettre ces papiers d’inscription ? »

 

Et moi bien sûr, qu’aucun scrupule ni obstacle n’empêchaient jamais d’arriver à ses fins, je déclamai, protecteur, les yeux toujours rivés sur ma fiche personnelle :

 

—     Vous aussi, tenté par le cours de Wushu ? Si vous manquez des séances, je me ferai un devoir et un plaisir de vous les démontrer. Théorie et pratique bien sûr.

—     Je ne devrais pas avoir besoin de vos services, je vous remercie. Ne m’en veuillez pas, mais c’est peut-être moi qui pourrais vous en apprendre.

 

Sens de la répartie, ton assuré sans être cinglant, pointe d’ironie dans la voix : la partie risquait d’être rude, mais ce n’était pas pour me déplaire. Eussé-je prêté attention à l’œillade que m’adressait l’hôtesse par-dessus le comptoir, j’aurais peut-être marqué un temps d’hésitation avant de porter l’estocade :

 

—     Les femmes d’aujourd’hui veulent rivaliser avec les hommes, c’est entendu. Total respect. Mais il est des terrains où notre statut nous précède. Tenez-le-vous pour dit.

 

Je me retournai alors vers mon interlocutrice, conquérant, bras tendu en avant vers elle. En un quart de seconde, je me retrouvai à la fois bloqué par une clé de bras, et projeté au sol par un croque-en-jambe, une sorte de shoot dans le mollet. Le reste de l’histoire, vous la connaissez.

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—     Monsieur, je crois que les présentations n’ont pas été faites. Kursakaï… Elsa Kursakaï. Nous aurons le plaisir de nous croiser souvent…

 

 

© Ouvrez les Guillemets - 20.05.2021



21/05/2021
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