Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Atelier 9 - 2021 - sujet 2

 

Vingt ans.

Sept-mille-trois-cents-cinq jours, en comptant les 29 février des années bissextiles. Ne pas les oublier. Ils ont compté, peut-être même plus que tous les autres.

Je suis tout juste réveillé, pas encore levé. Je compte, j’additionne, je multiplie mentalement, je ne soustrais jamais. Je convertis en semaines, en heures….175 320 heures ! Qu’ai-je fait de tout ce temps ?

Rien.

Je me suis nourri. Comptons trois repas de vingt minutes, soit une heure par jour.

J’ai dormi. Comptons une moyenne de quatre heures par nuit. Mes insomnies sont fréquentes, douloureuses. Je me tourne et me retourne dans mon petit lit en fer qui grince, celui du haut, en proie à mes cauchemars. Impossible de lire pour me rendormir, la lumière réveille les autres.

Je me suis lavé, habillé et déshabillé. Trente minutes par jour environ. Même si ma garde-robe est assez sommaire : tee-shirt et joggings, pochés aux genoux. Là où je vis, on ne fait pas d’effets de toilette, pas besoin de se faire beau, tout est laid.

J’ai fait du sport. Quotidiennement. Assidûment. Fatiguer mon corps me fait du bien, me détend. Pompes et haltères à côté de mon lit. Basket ball en salle avec les autres. Je compte là aussi une heure par jour.

Je me suis promené. Une demi-heure par jour. Même pas le temps d’entendre un oiseau. D’ailleurs, là où je vis, les oiseaux ne viennent pas, il n’y a pas d’arbres.

Restent dix-sept heures à occuper dans chaque journée.

Je sais, je compte beaucoup, c’est d’ailleurs aussi l’une de mes principales activités, je pourrais aussi compter le temps passé à compter, pourquoi pas ? Compter le temps passé à attendre un avenir, compter le temps qui reste, le temps perdu.

« Alors Albert, c’est ton anniversaire aujourd’hui, non ? Joyeux anniversaire, mon gars ! »

Le maton dépose mon sept-mille-trois-cent-sixième petit-déjeuner,  dans le passe-plat de la porte de ma cellule. Le café a déjà refroidi, le couloir de ma vie est interminablement long.

« Désolé, il n’y a pas de bougies, ni de cadeau à ouvrir ! » ajoute-t-il, riant ironiquement et le loquet claque comme un coup de poing.

Cette phrase déclenche le même coup de poing dans mon ventre, les mots « bougies » et « cadeau » sont des mots pour les anniversaires d’enfant. Ils sont utilisés dans les mêmes phrases que le mot « invités », rappel cruel de ma solitude - personne ne me rend plus visite depuis longtemps - Quant au mot «  embrasser », mes mains et mes lèvres n’ont plus jamais touché personne depuis.

La petite fille a soufflé sa dernière bougie d’anniversaire le jour de ses sept ans, et ses parents n’ont plus acheté de cadeau d’anniversaire.

Alors pour chasser les images qui reviennent hanter ma mémoire et déglinguer mon esprit, pour ne pas devenir fou, je compte mes biscottes et mes gorgées de café.

Je suis condamné à compter.

 A perpétuité.

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(Petite précision à ceux qui liront ce texte : Je n’ai aucune compassion envers les assassins d’enfant, et ce texte n’est absolument pas autobiographique. J’ai juste choisi cet angle pour traiter le sujet «  fêter ses 20 ans » comme un exercice d’écriture).

 

Christine



31/05/2021
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