Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

l'atelier du 17/02/15

Chat Malin et Zméou le Brave

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  • Pourquoi pas là-bas, se réitérait-il sans cesse la question. Sa queue vibrait – nervosité, mais surtout curiosité de voir pourquoi le maître, Sa Seigneurie Chat Crotté, lui interdisait cette pièce.
  • Advienne que pourra ! Moi, j’y vais !

De sa grosse tête rousse, il poussa la porte et, sur ses pattes feutrées, s’écoula sans bruit par la fente… Paf ! La porte claqua derrière son dos, faisant sauter dans sa poitrine son cœur de chat pas très vaillant.

Ce qu’il découvrit lui fit oublier sa peur.

« Ah ! Dieu des chats ! Quelle merveille ! »

Tout brillait. Les murs, les dalles, jusqu’aux colonnes et aux chambranles, en mille nuances de jaune, de roux, de rose, tout était fait dans l’or le plus pur. Au milieu de la pièce, coulaient, d’une fontaine ciselée, deux filets appétissants, lait et crème, qui auraient fait envie à un saint. Mais un saint aurait su lire les lettres inscrites dessus : « N’y touche pas, tu le paieras très cher ! » Notre chat plein de malice n’était pas allé à l’école et ne s’en soucia guère. Tout parcouru de frissons, il approcha du bassin où fondaient ensemble les deux filets magiques.

 

  • Mmm ! Quelle félicité ! Bénie soit l’heure où j’ai pris le courage d’entrer ! se disait-il en ronronnements entrecoupés, tout en avalant sans répit.

Du coup sa patte glissa sur le rebord de la fontaine et plouf ! au milieu de la mare blanche, qui se mit à s’agiter, à tournoyer … de plus en plus vite, de plus en plus fort… D’immenses vagues montaient et déferlaient – en haut, en bas, en haut, en bas … Ciel et terre, plafond et dalles disparurent. Le petit bassin devint un flot énorme et furieux, qui dévalait vers une cascade dont le bruit infernal approchait…

 

  • Dieu de Dieu des Dieux des Chats ! Où suis-je ? Que faire ? hurlait-il en se débattant, lorsqu’il sentit une grosse corde s’enrouler autour de ses pattes. Il s’y accrocha de toutes ses forces, de toutes ses griffes … le salut ! Mais il en était loin ! Au-dessus des vagues furieuses, issue d’un vaste filet collant, la corde salvatrice le tenait prisonnier.
  • Ahaaaa ! Te voilà donc, voleur ! Tu paieras maintenant le prix fort pour le lait et la crème que tu as profanés ! Hurler et te débattre ne sert à rien. Tu devras aller dans la Forêt du Dragon de Fer et le tuer. Tu m’apporteras une cruche de son sang avant le coucher du soleil. Sinon sur la table de mon souper, bien rôti, sur un plateau d’argent tu finiras !

Ainsi parla Noir Poison, l’Araignée sorcière, qui, en buvant le sang du Dragon, cherchait à absorber sa force, pour ensuite s’approprier le riche pays de Chat Crotté.

 

  • Ne pense même pas à te dérober ! Nulle part tu ne seras à l’abri de ma colère !
  • Le gros pépin ! Cette fois-ci, me voilà fichu ! se disait notre chat en se léchant les pattes dégoulinantes de crème. Faible consolation ! Il ne voyait aucun moyen de réussir et sombra dans un si profond désespoir, que, même la vue d’une petite souris dans l’herbe ne l’égaya pas. Il aurait naturellement dû l’attraper. Mais lors de ce moment tragique de sa vie, son cœur se montra magnanime. La haine ancestrale oubliée, il lui donna même ce qui restait de crème sur ses pattes, car la souris avait l’air affamée, puis il ne  pensa plus à elle.

Une voix cristalline l’éveilla de ses cauchemars :

  • Pourquoi es-tu si malheureux, ami ?

Le gracieux Esprit des Fleurs qui, déguisé en souris, l’avait mis à l’épreuve, venait récompenser sa générosité, en lui donnant un gland magique. Grâce à ce don, Chat Malin retrouva le courage. Ce gland pouvait vous rendre brave, ingénieux, puissant, invincible. Notre chat avait beau être malin de naissance, la bravoure n’était pas son fort. À présent, avec le gland  tout devenait possible. Il partit donc à travers bois sans hésiter, perçant les ténèbres de ses yeux verts et arriva sans encombre au repaire du Dragon. Là il voulut tout de suite franchir la porte.

  • Non, mais eh ! Où croyez-vous aller ainsi ? Quelles manières ! Foncer de la sorte ! Auriez-vous une invitation ? Des lettres d’introduction au moins ? Avec cela, pas d’habit, pas de gants ! Fi l’horreur !

Devant le portail, une rose trémière haute sur pattes se tenait tremblante de dégoût. Des visiteurs pareils choquaient son besoin de distinction. C’est pourquoi elle avait visiblement du mal à remplir son rôle de majordome.

  • Ça va, ça va, chère amie, dit de l’intérieur une grosse voix fatiguée. Laissez-le entrer. Vous savez comme je me sens seul loin de chez moi, dans cette sombre forêt. Venez, entrez, petit voyageur ! Le Ciel fasse que vous soyez porteur de bonnes nouvelles !

À sa vue, Chat Malin sentit son courage vaciller. « L’affreux Dragon ! Mon Dieu ! Est-il gros ! » Et, timidement :

  • Êtes-vous bien le grand Dragon de Fer, monsieur ?
  • Mais non, mais non. N’ayez pas peur. Venez, qu’on parle un petit peu. Je suis las de cette histoire de monstre, de méchant Dragon de Fer, inventée de toutes pièces, tout comme l’histoire de Dracula. Je vais tout vous raconter, petit ami, venez !

Au milieu d’un visage effrayant, deux gros yeux exorbités, regorgeant de tristesse laissèrent tomber une larme qui faillit noyer notre chat.

  •  Tout ça c’est des mensonges. Mon nom, le vrai, est Zméou le Brave. Le gardien fidèle du roi de Roumanie. Quand les communistes nous ont chassés, j’ai trouvé refuge ici…

Zméou avait rarement l’occasion de pleurer sur l’épaule de quelqu’un. Son histoire fut longue : le coup d’état, la poursuite, les méchants qui s’étaient emparés du pays…

  • Le beau pays, un vrai jardin ! Qu’en ont-ils fait ? Il n’y a plus rien ! Les mines d’or et d’argent sont à sec, les champs de blé en friche et les montagnes veuves de leurs forêts… Et moi… et moi qui n’ai plus de forces, plus aucun courage … Le malheur ! La honte !  Ses paroles se perdirent en sanglots.

Chat Malin, révolté, se sentit soudain une âme de guerrier.

  • Montjoie ! cria-t-il. Zméou, mon ami, on y va ! À bas le joug communiste ! À l’attaque ! Sa moustache ébouriffée aurait effrayé une armée. Avec le gland en poche, il se prenait pour le maître du monde.

***

Voilà une fin que Noir Poison, la sorcière, n’aurait jamais prévue. Les lois du cœur et de l’amitié lui échappaient. Sur une âme sans peur non plus, elle n’avait nul pouvoir. Sa colère et sa vengeance ne pouvaient plus atteindre notre chat, rendu brave par le gland magique et, de surcroît, protégé par le Dragon.

Chat Malin se fichait pas mal du roi de Roumanie et de sa cour, mais l’amitié est chose sacrée. C’est ainsi que les deux amis de fraîche date partirent en guerre, l’un sur le dos de l’autre. L’un pour délivrer son cher pays des communistes, l’autre pour le soutenir et aussi, un peu, disons-le, pour découvrir les bergeries riches en crème, en beurre et fromages de toutes sortes.

***

Épilogue

(Bucarest, les écuries du Palais Royal)

  • On leur a montré, hein ? C’est bien fait pour eux. Qui sème le vent, récolte la tempête. En fait, je me rends compte, mon très cher, que je suis tout à fait pour la royauté, déclara Chat Malin, avec, entre les pattes, un pot dodu de crème bien jaune.
  • Humm ! Parfaitement d’accord, marmonna Zméou la bouche pleine, se prélassant au pied d’une montagne de bonbons.

 Gabriela 17/02/2015



19/02/2015
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