Maridan-Gyres

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L'histoire d'Orane 11/09/2013

Atelier du 11 septembre 2013 - AUTOUR D’UNE PHOTO

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VENISE

Fin septembre, fin de l’été. Le soir descend lentement sur la Lagune, y déposant comme un léger voile qui pâlit les couleurs, et l’agitation fébrile de l’après-midi se calme peu à peu. On entend encore de temps à autre le cri joyeux d’un gondolier hélant à la cantonade, mais il ne reçoit plus aucun écho.

Je regarde presque sans le voir ce décor de carte postale, car devant mes yeux assombris par les souvenirs, un autre décor, semblable pourtant, se superpose.

 

Fin septembre, il y a un an, une de ces journées où la chaleur du soleil brûlant épuise toute résistance et vous oblige à faire la sieste. Tout est ralenti, même la gouaille des gondoliers se fait plus discrète. Les eaux du Canal Grande scintillent tellement que quiconque ouvriraient trop les yeux risquerait l’aveuglement.

C’était la première fois que je venais à Venise, ville magique dont le seul nom évoquait pour moi l’amour, la beauté, la vie quoi ! Cherchant un semblant de fraîcheur, je m’étais aventuré dans les innombrables ruelles, un vrai labyrinthe. Je m’étais égaré, je n’en pouvais plus, j’avais chaud. Epongeant mon front pour la énième fois, je m’étais brusquement heurté à … un ange ! C’est ainsi qu’elle m’était apparue : un ange au visage auréolé d’une magnifique chevelure brune. Nous avions éclaté de rire en même temps, son rire ressemblait à une cascade bondissante, cristalline, rafraîchissante, d’un seul coup j’avais moins chaud.

Je lui avais demandé de m’aider à retrouver mon chemin. Quand elle avait hoché la tête, ses cheveux avaient voleté et pris une belle teinte acajou sous le soleil, faisant ressortir ses yeux couleur de miel. J’étais définitivement sous le charme. Elle avait glissé spontanément son bras  sous le mien, comme si nous étions de vieilles connaissances, et dans un français presque parfait, à peine teinté d’un léger accent - touchant d’ailleurs - elle m’avait dit s’appeler Ornella, et que j’avais eu de la chance de tomber sur elle à cette heure-là et par cette canicule ! Personne ne s’aventure dehors, c’est une question de survie, s’était-elle exclamée, moqueuse.

A partir de cet instant précis, j’avais compris que ma vie basculait. Je n’avais jamais songé à entretenir une relation suivie avec une femme, pas le temps, pas l’envie, besoin de liberté…Et voilà que soudain, je m’étais surpris à imaginer les jours, voire les semaines à venir avec elle. Quelle folie s’était emparée de moi ? « Tu deviens cinglé » me criait une petite voix. J’avais bu ses paroles, comme un élixir, elle m’avait expliqué qu’il lui restait quelques jours à passer à Venise, sa ville natale, avant de repartir pour Rome…Je m’étais laissé bercé au rythme de ses paroles, et soudain, au détour d’une phrase, l’enchantement qui se brise, le retour sur terre, l’atterrissage brutal et qui fait si mal ! J’avais entendu deux mots « mon mari » et plus rien, le noir, et ces battements de mon foutu cœur. Elle était mariée !! Mon ange était marié! Quelque chose en moi se désintégrait. Mais je n’avais rien voulu laisser paraître, elle m’aurait pris pour un fou, et elle aurait eu raison !

Elle avait accepté qu’on se revoie les jours suivants, ainsi, avait-elle dit, je ne risquerais plus de me perdre ! Nous avons passé cinq jours ensemble, déambulant, riant, vivants et heureux. Elle m’avait fait apprendre sa ville, la découvrir et l’aimer. Oui, encore aujourd’hui, je veux croire qu’elle a été heureuse avec moi. Nos longues promenades au crépuscule, au bord du Grand Canal, nos jeux sur la plage, je m’étais senti retomber en enfance, et c’était si bon ! Je vivais enfin, je n’avais jamais connu ce sentiment. Elle avait mis des couleurs dans ma vie, jusque là, sans le savoir, je vivais en noir et blanc !

La veille de son départ, la soirée avait commencé dans les rires, mais le cœur n’y était pas, ni pour elle, ni pour moi. Après une balade silencieuse, nous nous étions arrêtés sur le pont du Rialto. Elle avait alors posé sa tête sur mon épaule, une larme avait glissé sur sa joue. Prenant son visage dans mes mains, j’avais posé mes lèvres sur les siennes, doucement pour ne pas la brusquer. Elle s’était redressée, ne voulant pas se laisser aller. « Je ne dois pas, non, non, il ne faut pas… » elle avait couru pour me cacher son trouble. Mais je l’avais bien vu son trouble, oh oui ! Et lorsque nous étions arrivés  à son hôtel, elle m’avait pris la main, et, sans un mot m’avait entraîné dans l’escalier. Cette nuit-là, je ne pourrai jamais l’oublier. Elle s’était offerte à moi, comme un cadeau que je ne me lassais pas de découvrir. J’avais lutté pour ne pas m’endormir ensuite, j’avais voulu la graver en moi dans ses moindres détails, en la regardant si près de moi et déjà si lointaine.

Je l’avais accompagnée au vaporetto, très tôt, pour qu’elle ne rate pas son avion. Elle m’avait promis de me donner de ses nouvelles, de ne pas m’oublier, de trouver une solution. J’étais resté sur le quai, comme une vieille corde abandonnée, me sentant desséché, vidé de toute substance, privé de vie puisque privé de mon amour.

J’avais décidé de rentrer en France le lendemain, plus rien ne me retenant à présent ici. J’avais reçu un sms dans la matinée, elle me disait être en salle d’embarquement « tu me manques déjà » avait-elle ajouté. Je le lisais, le relisais, le lisais encore et encore. Sa peau, son parfum, sa voix, sa fraîcheur, tout d’elle me manquait ; j’étais entre deux parenthèses, ne sachant pas si j’allais pouvoir en sortir.

Et puis, à midi, à la brasserie, « notre » brasserie, cette annonce à la radio, je n’entends pas bien, je ne comprends pas bien, je demande qu’on m’explique. Un accident d’avion, le vol Venise – Rome, pas de survivants… J’étouffe, je me précipite dehors, je vais me cacher pour pleurer. Je voudrais hurler, comme une bête blessée, mais mes cris restent désespérément bloqués au fond de ma poitrine serrée dans l’étau de ma peine.

J’avais erré tout l’après-midi dans les ruelles de la ville, ma douleur avait anesthésié tous mes sens, j’avais du mal à me retrouver, je m’étais perdu, j’avais tout perdu. Je n’avais été que de passage dans sa vie, un amour interdit en somme, je n’avais pas le droit d’afficher mon chagrin. J’avais composé son numéro de téléphone, espérant je ne sais quoi, un miracle… entendre sa voix sur la messagerie, proche, douce et bienfaisante, comme la caresse d’une main fraîche en plein été. Mais rien, juste une sonnerie dans le vide, le néant…

Le soir venu, rentré à l’hôtel, j’avais jeté mes affaires dans ma valise, et, allongé sur le lit, les yeux hagards tournés vers le plafond, j’avais attendu le matin.

J’avais pris le train comme un automate, me sentant comme dédoublé, comme si une partie de moi restait là, sur le quai, à attendre la fin du cauchemar. Car, bien sûr, ce ne pouvait être qu’un cauchemar, j’allais la retrouver bientôt, oui, oui !

J’ai oublié comment j’avais pu rentrer chez moi. J’avais dormi soixante-douze heures, en me réveillant,  je n’avais plus la notion du temps. Je n’avais en tête que le souvenir de ces jours bénis passés avec mon ange vénitien.

Mais mes obligations professionnelles ne pouvaient plus attendre et j’avais dû reprendre le travail et donner le change. En revenant  le soir, j’avais trouvé une carte postale de Venise dans mon courrier, signée « Ornella ». Quoi ? Elle était en vie, elle vivait ! J’allais la retrouver ! «Cher trésor, je vais bientôt embarquer, je pense à toi, tu me manques. Ne m’oublie pas ». Elle m’avait écrit depuis l’aéroport, avant le drame. Le fol espoir fugace avait fait place au désespoir.

 

Aujourd’hui, c’est le jour anniversaire de notre rencontre, j’avais besoin de revenir, comme en pèlerinage. Je ne resterai pas plusieurs jours, je voulais juste m’imprégner une fois encore de la magie de cette ville, revoir les gondoles, les eaux glauques, baigner dans cette atmosphère qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. Je devais m’exorciser à jamais de ce mal qui me rongeait. Désormais, je suis prêt à revivre.

 



16/09/2013
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