Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

la ronde du 18/12/2013

NOIR

 Je n’ai pas bu, je suis du genre sobre, et pourtant je me sens comme un ivrogne, saoulé, déboussolé. Dans cette rue qui grouille de monde, je déambule, étranger, anonyme, avec l’impression de flotter. J’entends fuser les réflexions auxquelles je suis incapable de réagir : « Il a bu ma parole! Il est bourré ! » Je poursuis ma valse, je tourne, tout tourne, il fait nuit. Je dois être en train de rêver, c’est ça un mauvais rêve, un cauchemar. Noir, trou noir.

 

J’entends craquer une allumette, une petite flamme surgit devant moi, elle se tortille et me laisse entrevoir une main qui me fait signe. Mais où suis-je donc ? J’entends une voix, d’où vient-elle ? « Coucou  monsieur, ça va ? » Mais mes yeux ne distinguent rien, l’angoisse me serre la gorge, j’étouffe. Oh mon amour, pourquoi n’es-tu pas là, avec moi ? La tête me tourne, je titube, la main entrevue tout - à - l’heure se glisse fermement dans la mienne et me tire. Je m’y accroche, il y va sans doute de mon salut ! Je n’ai pas le temps de me poser des questions,  je commence à distinguer des ombres, la clarté du matin s’insinue dans la nuit. Le jour se lève ! J’aperçois un plan d’eau au bout d’un chemin.

 

La ville est derrière moi, derrière nous plutôt, car je peux voir à présent qui m’a amené jusqu’ici. C’est un jeune garçon, il doit avoir une dizaine d’années. Quand je lui demande ce qu’il fait ainsi, dehors, seul à son âge, il hausse les épaules et se renfrogne. Il continue de marcher, je ne sais pas où il va, mais je le suis. Dans ma tête c’est toujours le noir, je ne sais ni pourquoi ni comment je me suis retrouvé errant dans la rue. Je sais juste que j’ai mal, là, au plus profond de moi. On entend un couple de tourterelles qui roucoulent dans un arbre, plus loin, au bord de l’eau un héron fait sa première pêche. J’ai envie de pleurer, j’ai comme un gros bleu à l’âme. Mais pourquoi ? Les yeux levés vers le ciel, je me cherche des souvenirs, des regrets, rien. Et si j’essayais de me secouer, pour voir si quelque chose tombe, ou pour trouver de quoi remplir mon vide.

 

Notre marche se poursuit en silence, nous arrivons près d’un bois. La rosée a déposé des gouttelettes de diamant sur les sapins qui scintillent. Soudain, mon jeune compagnon s’arrête, se retourne vers moi et pointe son doigt en direction d’une petite maison. D’une voix rude et grave pour son âge, il articule avec peine : « C’est chez le père, quand le père gueulel’enfant part» Il a du mal à s’exprimer, je lui prends la main pour l’encourager à parler. Il se détend et finit par  me raconter un peu sa vie. Sa mère a quitté son père, il y a quelques années,  pour aller travailler à la ville et elle l’a emmené avec elle. Elle n’en pouvait plus de cette vie misérable et voulait offrir autre chose à son fils. Son père ne l’accepte toujours pas, et à chaque fois qu’il lui rend visite, une fois par mois, ça dégénère ; l’homme, aigri, est une sorte de brute sans éducation. Le garçon venait de s’échapper au moment où nous nous sommes « rencontrés ».Son histoire me touche. Et moi, quelle est mon histoire ?

 

Il me tend un paquet de biscuits qu’il avait dans une poche. J’en croque un mais je ne peux rien avaler, toujours cette boule dans la gorge. Je lui rends le paquet : « Merci, plus faim…j’ai plutôt soif. J’entends le bruit de l’eau, allons voir. » Guidés par le clapotis, nous arrivons près d’un ruisseau, nous nous désaltérons et débarbouillons tant bien que mal. Je ne parviens toujours pas à me défaire de cette angoisse, j’ai l’impression que mon cœur ne bat plus ou presque plus. Mes pensées se brouillent, où vais-je aller après, lorsque je vais me retrouver seul ? Parce que bientôt, l’enfant va partir, il doit rejoindre sa maman. Intérieurement,  je tremble de peur, je ne sais plus qui je suis. La lassitude m’envahit, je m’allonge et ferme les yeux. Ah pouvoir m’endormir et me réveiller dans ma vie d’avant . «  Le roi est fatigué ? me murmure à l’oreille une petite voix. Si tu veux, avant que je rentre chez maman, je vais te présenter mon amie, elle s’appelle Anna. Anna a des pommes dans son jardin, et aussi des fleurs et des animaux. Un chat surtout, avec des pattes bleues et des yeux noirs, qui court sans cesse après les poussins. Il est rig… !!!! »

 

Une grande tape dans mon dos, l’image du chat s’envole, je me retrouve au milieu de la foule, dans la rue éclairée par les décorations de fête. Adrien, mon meilleur ami est à côté de moi. «  On peut dire que tu m’as fait courir toi. Ça va pas de t’enfuir comme ça, sans prévenir ? Et Anna, elle est où Anna ? » Electrochoc, Anna ! Mais oui, je me souviens à présent, Anna c’est la femme que j’aime, celle sans qui les couleurs n’ont pas d’éclat, celle qui m’a fait perdre la mémoire … celle qui m’a quitté ce soir. Celle qui m’a laissé dans le noir…

 

 

ORANE   18/12/2013



20/01/2014
1 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 465 autres membres