Maridan-Gyres

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Le beau texte de Christian

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En ces temps jadis, un jeune commerçant apporta lors d’une réunion du chapitre un document très ancien. Il faisait état d’un titre de propriété d’une parcelle de terre. Cette dernière était revendiquée par son voisin depuis bien longtemps. C’était un fait connu de tous. Ce différent existait depuis plusieurs générations. Ils étaient en perpétuel conflit. Je remontai donc petit à petit le temps, avec l’aval du père prieur, parcourant les archives de notre abbaye, allant à la guilde des   marchands. Je sortis des oubliettes des papiers couverts de poussière. J’étais devenu un petit rat dévorant cette montagne de documents. Je recherchais avant tout les causes, faisant ressurgir du passé des voiles d’ombres, des vols, des coups fourrés, des alliances opposées vis à vis de prince. Je découvris même l’enlèvement d’une dame, convoitée par l’autre parti. De mémoire d’homme que de querelles avaient prises jour. Moi qui avait abandonné les armes car trop de violence, de fausses justifications, je me retrouvais dans la noirceur, la cupidité, l’affairisme, le machiavélisme.Tout était là, je transcrivais tranquillement. Mon esprit vagabondait par delà le temps, empruntant des chemins qui m’étaient inconnus, imaginant des scènes. Toutes ces données prenaient formes, s’imbriquaient les unes dans les autres. J’étais en train de tirer le fil de cette grosse pelote de laine, défaisant ainsi les nœuds, ne voyant toujours pas le bout. Bien sûr, notre couvent avait l’habitude de traiter ces affaires mais certainement pas aussi vieilles. Tous les faits corroboraient ce document, présenté à notre jugement. Mon discernement suivait une ligne dictée par cet acte. Essayant de trouver des faits qui confortaient ce sens. J’étais obnubilé. Tout se suivait par magie. Mon raisonnement n’allait que dans un sens. Quand tout à coup, j’ai ressenti une sensation bizarre. Je ne savais comment l’interpréter. J’étais  troublé, comme si dans mon cerveau une sonnette d’alarme se faisait entendre. Je ne savais pas pourquoi, peut être un sixième sens.

Je sentais quelque chose qui n’allait pas. Cela devenait une conviction. Mes mains étaient occupées à tourner ce parchemin machinalement, m’imprégnant de sa texture. Quand dans mon esprit il y eu un déclic. Me remémorant les propos de Jabir Ibn Hayyân, savant émérite, qui fut mon ami lors de mon séjour forcé en Palestine. Il m’expliqua la façon de faire les papyrus mais aussi des parchemins. Ils étaient constitués de matières végétales et l’amidon servait de colle  telle la farine ou le pain. Il fallait tout tremper, puis presser, ce qui donnait une pate fibreuse. Il me parla ensuite des peaux, procédé plus adapté aux pays lointains donc  à l’occident, et qui donnait un toucher plus doux, plus souple aussi. Je me souvenais maintenant des vélins que l’on avait dans notre bibliothèque datant parfois d’avant la création de notre monastère. Je voyais mes frères copistes les manipulant, les humant pour s’en imprégner, faisant corps avec le narrateur. Toutes ces images défilaient devant mes yeux.  Je comprenais que ce texte aurait du être rédigé  en vieux gallois et non pas en cette langue anglaise qui avait court depuis quelques années.  Notre conscience était restée au temps présent par habitude, ne remettant pas en cause nos certitudes et non pas 100 ans avant comme le soutenait le demandeur. Plus je réfléchissais, plus je trouvais ma première intuition en faute. Comment se faisait il que je n’ais pas remarqué la texture du parchemin. Nous n’avions pas porté attention à ces détails. Cet écrit était récent. Il était fait de tissu malaxé, cela n’avait pas court à cette époque. De même, je n’avais pas fait attention aux pigments de l’encre. Il y avait du plomb comme  fixateur. je m’en étais aperçu en regardant ce document à contre jour. La lumière de la flamme de ma bougie me révéla sa composition. Ce métal n’était pas employé à l’époque présumée. La solution était là, devant mes yeux, entre mes doigts. Ce document était faux. Il prouvait que tout était mensonge, manipulation, usurpation. Avec précaution, je pris un petit morceau que je déposai dans une écuelle. J’y versai   un peu de vinaigre, il ne devait rien rester pour confirmer mon hypothèse, c’était bien le cas. C’est avec un peu de fierté, d’humilité, que le vendredi suivant, devant un auditoire divisé en deux, prenant le parti de l’un ou de l’autre, je fis cette démonstration. 

Prenant mon temps pour expliquer ce que je faisais. Je leur montrai la caractéristique du plomb en imperméabilisant la peinture. Cette dernière avait une plus longue longévité. Je montrai les mots inconnus à cette date. En humidifiant un morceau, je fis apparaitre la trame des tissus, prouvant à cet instant le mensonge. C’était des détails que le faussaire avait négligé. Tout le monde en resta médusé. Le plaignant se confondit en excuses. Il fut proclamé non redevable et noté sur notre livre du chapitre pour que les générations futures ne reviennent plus à la charge. Oui cette terre avait de l’importance, une source y coulait donnant la richesse aux fermiers, abreuvant les animaux, irriguant les champs. Que ne ferait on pas pour assouvir son besoin de propriété, de richesse, d’argent. A tous, l’abbaye délivrait un signal, le droit devait triompher et non pas la tromperie, la veulerie. Moi Gadfael je n’avais été qu’un simple artisan pour que la vérité soit gagnante, en serait-il toujours ainsi ?

Christian



24/09/2013
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