Maridan-Gyres

Maridan-Gyres

Que pensez-vous de ce texte fourni par Elfina

Monsieur,

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Vous ignorez qui je suis et c’est tant mieux.

 

Si je vous écris, c’est qu’il m’est arrivé une chose peu ordinaire pour un « mafioso » comme moi. Que voulez-vous, j’ai mon honneur à sauvegarder et je tiens à ce que vous le sachiez même si vous ne me connaissez pas.

 

Ce matin, mon agent m’a appelé d’urgence pour me confier ce qu’on appelle communément dans notre milieu « un contrat ». Avec des conditions spécifiques. Je dirais même, très spécifiques. J’ai presque honte de les énumérer ici, tant elles heurtent ma qualité d’homme. Moi, à qui des missions quasi impossibles ont été confiées et exécutées ensuite sans la moindre anicroche, sans la moindre bavure. Proprement. Efficacement. Correctement. Aucune trace. Aucun indice. Du travail d’orfèvre. Que voulez-vous, je suis de l’ancienne génération pour qui l’honneur compte avant tout. Et un travail bien fait, proprement fait, ça compte. La face, Monsieur, et la réputation. C’est important pour un homme comme moi dont les longues années d’expérience de terreur semées n’ont plus rien à prouver à qui que ce soit.

 

Or, ce matin, j’ai rougi de honte quand mon agent a énuméré ces conditions d’exécution. Contrairement à l’habitude, cette mission ne requiert pas de longue préparation, ni n’exige de moi une tension permanente. Mon agent a  même   eu    ces mots (on voit bien qu’il m’envie) : « c’est presque du voyage d’agrément, il ne manquerait plus que le GO du Club Med pour te divertir   ! » en me tendant la liasse de cent euros en acompte. C’est à croire qu’il me reproche presque de trop gagner pour ce que j’aurai à faire. Il ne mesure jamais assez les dangers que des professionnels comme moi encourent au large. Lui, il est toujours confiné dans son minable bureau de quatre sous. Entre nous, Monsieur, il n’a même pas un ordinateur (c’est vraiment impensable à l’ère numérique !) pour ses bases de données, prétextant que tout est dans sa tête. Là où on ne pourra pas enlever ses secrets professionnels, dit-il. Alors que moi, je sais par expérience que sa tête à lui, c’est celle d’un moineau. Enfin, on ne peut pas toujours avoir l’agent qu’on mérite. Surtout dans notre métier. Un métier qui ne court évidemment pas les rues. Moi, si, pas mon métier.

 

Excusez-moi, Monsieur, de m’étendre ainsi sur ces lignes. Je devine aisément votre impatience. Mais je crois que toute l’amertume éprouvée à son endroit a une cause  : être obligé d’accepter m’inonde d’humiliation.

 

Si je pouvais m’épargner cette nécessité purement alimentaire pour ma nombreuse progéniture, j’aurais déjà refusé net la mission. Vous n’imaginez pas combien il m’est difficile d’avaler cette couleuvre. Je m’étrangle encore en vous écrivant.

 

Avant toute chose, je fais appel ici à votre compréhension. D’homme à homme.

 

Il semble que la « cliente-commanditaire » (paraît que c’est une femme !) quelque peu singulière ne lésine nullement sur la somme à me payer. « A tout prix », dit-elle. « Stipulé immédiat » et non « à la liquidation mensuelle .»

 

Si je comprends parfaitement la signification intrinsèque de « prix, immédiat, liquidation », il me semble par contre que ces phrases une fois collées les unes à la suite des autres demeurent du chinois pour moi.

 

Je vois d’ici votre geste d’impatience.

 

Il est rare, dans notre métier pour quelqu’un comme moi qui ai la charge d’exécuter le contrat  de m’adresser ainsi à la « victime ». Car vous êtes, Monsieur, la victime. Vous êtes étonné ? Il y a de quoi, n’est ce pas ? Ce n’est vraiment pas courant. Mais alors, pas du tout.

 

Rassurez-vous, Monsieur, vous n’êtes pas seul à être la victime. Je pense que moi aussi, je suis quelque part une autre sorte de victime. Même si la victime supposée que je suis, va dépenser, allègrement et sans scrupule aucun, pour nourrir sa famille nombreuse, l’acompte qu’elle vient de recevoir en bonne et due forme de la main de son agent qui, lui, n’hésite pas  à prélever au passage ses ignobles commissions. Je vous confesse que je dois me faire violence pour ne pas proférer à son égard des mots qui blesseront certainement la noblesse de votre écoute.

 

J’en viens, Monsieur, j’en viens.

 

Voilà : je suis chargé de vous FUSILLER avec un pistolet d’enfant rempli d’EAU d’Évian (pas Badoit, du pur Évian, c’est spécifié expressément  !).

 

Pour un mafioso chevronné comme moi, quel opprobre, n’est ce pas ?

 

Sincèrement vôtre.

 

Un mafioso qui enfreint la loi de l’omerta.

 

Elfina

 

 



05/02/2019
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