Maridan-Gyres

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Symphonie Verticillée - Chapitre B

 

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Adrien : Tu oublies de m’appeler, chérie. J’ai laissé des messages dans ton répondeur. Qu’est-ce qui se passe ? Tu vas bien ? Fissures du mur à Ermitage à cause de la canicule ? La digue du Lez a craquelé ? Une invasion de moustiques tigres ? Une épidémie d’Ebola dans ton coin ?

 

Ava : Oh, pardon, chéri. Rien de tout ça. Même pas une invasion massive de touristes. Tout est calme ici par cette canicule. Simplement, je n’ai pas consulté mon répondeur. Je suis en pleines recherches sur Internet.

 

Adrien : Recherches sur quoi ?

 

Ava : Sur les araignées.

 

Adrien : Et pourquoi des araignées ? Je te croyais en pleine connivence avec les crapauds. Une nouvelle étude comme lubie ?

 

Ava : Etude sur les araignées ? Non. Mais c’est à cause de toi.

 

Adrien : Des araignées à cause de moi ? Voilà un honneur bien inattendu ! Et à quel propos, dis-moi, chérie ?

 

Ava : Souviens-toi ... tu m’avais promis un sac tressé de soie d’araignée. Alors j’ai cherché et j’ai trouvé... Il se dit... fais gaffe à ce que tu dis, car elle a l’habitude de chercher la petite bête. Au premier comme au second degré.

 

Adrien : Tu as trouvé quoi, mon cœur ?

 

Ava : Que c’est faisable et même très faisable. Dorénavant, à chaque coup de balai sur le balcon, je dois d’abord leur demander pardon. Ce que je ne fais jamais   avec   les   moustiques   que   j’écrase avec un plaisir sadique. Je suis championne toutes catégories de serial killer de moustiques.

 

Il   se   perd   un   peu   dans   cette   conjecture   de   probabilités   allant   d’araignée   à moustique. Enfin ! Il se risque quand même à...

 

Adrien : Peux-tu être plus explicite ?

 

Ava : Je vais te lire ici ce que j’ai découvert et c’est fantastique. Je préfère lire, car si j’essaie de t’expliquer quoi que ce soit, je vais tout embrouiller comme d’habitude. Tu m’appelles du bureau ? Tu as du temps pour écouter ? Car je vais lire lentement...

 

Adrien : Vas-y. De toute façon, c’est déjà l’heure de la pause déjeuner. Je vais dire à Suzanne de bloquer les communications.

Ava : Suzanne ? C’est ton assistante ?

Elle a failli lui demander « quel âge elle a Suzanne ?» mais d’un coup de langue, elle avale ces mots fatidiques... Puis elle l’entend rire. Rire de ce petit rire particulier qui lui manque tellement quand il est loin d’elle... Pour pallier le manque, les neurones de son cerveau se sont déjà donné la tâche d’enregistrer l’écho, de l’entreposer avec mille précautions dans la caisse de son tympan aux fins d’actionner sur demande, si besoin est, la précieuse résonance. Le bouton a été appuyé de nombreuses fois ces jours derniers.

 

Adrien : Oui et  je l’appelle Suzanne-la-cerbère-bien-aimée. Elle est aussi cerbère pour me protéger des intrus qu’elle l’est pour le carnet de notes de ses quatre petits-enfants. Elle prendra sa retraite fin décembre cette année. Je me demande  comment  je  vais   me  débrouiller  après   son  départ.  Elle, c’est un véritable répertoire ambulant du Tout Paris culturel. Toujours au courant de tout et notamment de tous ces ragots et autres rumeurs qui s’y bruissent. Une perle qui m’évite bien des faux pas en ce milieu où règnent des egos surdimensionnés. Enfin... Robert et elle, ils ont hâte d’aller enfin se reposer à Vauvert, pas très loin de chez toi. Suzanne a hérité la maison familiale après avoir acheté la part de ses deux frères. Je lui ai parlé de toi et elle m’a dit qu’elle sera vraiment ravie de faire ta connaissance. Je pense que vous allez bien vous entendre.

 

Entrer dans la vie de quelqu’un c’est aussi entrer dans son cercle de relations.

Est-elle prête à le faire ?

 

De nouveau, elle entend son petit rire.

 

Ava : Qu’y a-t-il de si risible ? C’est sérieux ce que je fais là ...

 

Adrien : Bien sûr, bien sûr... Je ris à l’idée qu’au travail je suis protégé par un cerbère des plus efficaces, qu’en cas de rupture sentimentale, je peux toujours compter sur la diplomatie de ma chère petite sœur pour réparer les pots cassés et enfin, le meilleur de tout, je suis le chéri d’une elfe camouflée sous la peau d’un petit crapaud mignon comme tout. Quelle chance j’ai !

 

Ava : Hum ... hum ... Je commence à lire ?

 

Adrien : Je t’écoute. (Elle l’entend toujours rire par petits coups). Chic ! ...Enfin une vraie toile d’araignée ! Pas besoin d’aller tripoter celle de l’internet !

 

Ava : Chéri, c’est du sérieux, ce très long article dans Wikipédia. Plein de termes techniques et scientifiques. Je n’ai retenu que ces entrefilets ci-après, pour ne pas m’encombrer... Je commence... écoute...

 

  1. Voici   le   titre   du   magazine  Le   Point  du   25/10/2012 : « La   soie d’araignée tisse la fibre de demain. L’araignée réussit à fabriquer une fibre aussi résistante que le « kevlar » (qui peut arrêter les balles), sans la chauffer et sans utiliser des acides corrosifs. Le plus incroyable est que ces usines à huit pattes n’ont même pas besoin de forer du pétrole. A partir de mouches et de grillons, elles produisent un matériau de haute technologie... Les   scientifiques d’Oxford ont trouvé le moyen d’en produire de façon synthétique sans   recourir à des manipulations génétiques. Pour l’instant, les applications sont médicales : fils de suture, tendons ou ligaments artificiels. Mais demain, qui dit que cette matière mystérieuse ne va pas entrer dans la composition des câbles des ponts suspendus. »
  2. En voici un autre entrefilet du  Bulletin Watchtower bible and tract society of Pennsylvania 2010. « L’araignée orbitèle produit sept soies. La plus solide, appelée fil de sécurité, est plus légère que le coton, mais à poids égal plus solide que l’acier et plus résistante que le kevlar. Une toile de la taille d’un terrain de football, tissée avec un fil de sécurité d’un centimètre de diamètre et ayant des mailles de quatre centimètres, pourrait arrêter un avion gros porteur en plein vol : L’araignée produit son fil de sécurité à température ambiante, avec l’eau comme solvant. »

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  1. En 2009, un tapis a été tissé avec la soie d’un million d’araignées et une somptueuse robe (photo Adrian DENIS/AFP). A voir la photo absolument. C’est une merveille ! Il a fallu quatre ans de travail à une équipe de 80 personnes pour tisser les trois mètres d’un tapis   unique   au   monde,   exposé   au   Musée   d’Histoire Naturelle de New York. La fibre de tissu doré provient de la soie de plus d’un million de néphiles dorées, de grosses araignées de Madagascar. Chaque fil du tissage est constitué lui-même d’un tressage de 96 filaments de soie. A l’origine de cette prouesse technique : un partenariat entre un historien de l’art et un designer de mode (Science  et   Vie  N°   1106 de novembre 2009.) Je glisse ici sur d’autres articles plus récents relatant sur une méthode pour produire artificiellement et « sans fin » la soie d’araignée...   N’est-ce pas extraordinaire ?

 

Adrien : Merci, chérie, pour ces précieuses informations. Tu vois que ce n’est pas une promesse en l’air quand je t’ai dit que je t’offrirai un sac tressé de soie d’araignée pour contenir l’or de nos souvenirs vécus et à venir.

 

Ava : Ça doit coûter une fortune pour avoir juste un petit morceau de cette soie-là. Avec quoi vas-tu le payer ?

 

Adrien : J’ai plusieurs cryptomonnaies en réserve. Bitcoin et compagnies.

 

Ava : Et moi quelques kilos de mi-mots en fermentation dans la saumure.

 

Adrien : Avec mes cryptomonnaies, on va mener une vie de milliardaire ...

 

Ava : ... dans la paille de mes mi-mots ! Du nuoc-mâm premier jus ! Ils éclatent de rire en même temps. Elle continue : en fait, une fois l’information acquise, ça ne m’intéresse plus d’avoir ce genre de sac. Mais alors pas du tout. Trop compliqué pour l’entretien. Ton intention - et elle est merveilleuse - me suffit amplement pour l’avoir uniquement en imagination. Et puis, soyons réalistes. Contenir l’or de nos souvenirs ? Aucun sac ne le pourra jamais. En dehors des mots, je ne vois pas d’autre possibilité.

 

Adrien : Ce faisant, les mots entretiennent tes neurones juvéniles.

 

Ava : Merci pour ton appréciation à l’égard de mes neurones. Juvéniles, dis-tu ? J’en doute... Pourvu qu’ils ne me fassent pas faux bond et sachent recevoir, en temps et en heure, l’or en barres que cristallisent nos sentiments réciproques...

 

Adrien : N’est-ce pas fantastique de pouvoir actionner ensemble l’imaginaire ? Une imagination simultanée ! Rêver dans une même direction ... comme dirait Saint-Exupéry !

 

Ava : A ce sac de soie d’araignée, trop riche, trop rare, je préfère et de loin mon « souksac » où je peux, dans mon indécrottable fouillis et à partir de rien, tout imaginer, tout inventer. Les opportunités sont illimitées et le chemin, de vastes avenues plantées d’arbres ombrageux en ce temps de canicule. Un chemin à parcourir, toi et moi, côte à côte, main dans la main. La simplicité du bonheur dans toute sa splendeur ! Le rêve !

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Adrien :   En   attendant   de   réaliser   cette   splendide   simplicité, ton supposé milliardaire parisien (je précise qu’il ne l’est même pas en anciens francs, le pauvre !) doit se contenter bientôt d’un sandwich à la boulangerie du coin. Suzanne vient de me rappeler que je dois recevoir à quinze heures, une ponte actuelle du monde des Arts et des Lettres. J’aurai juste le temps d’avaler mon sandwich ! Adieu caviar, truffes et autre homard du Jules Verne à la Tour Eiffel !

 

Ava : Je t’aime mieux et de loin avec la baguette au jambon-beurre ! Et ça c’est du rêve réalisable, à l’abri du regard inquisiteur de Mediapart ! Inattaquable à l’ère des « Gilets jaunes»!

 

Elfina Ermitage-sur-Lez 05/08/2019



18/09/2019
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