Maridan-Gyres

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Symphonie Verticillée - Chapitre C

 

Dans cette supposée et prétendue  «bataille contre l’âge », en secret elle se doit de s’entourer d’alliés sûrs et fiables. Elena en est une. Et de taille.

 

Ava : Bonjour Elena. Tu vas bien ? Ainsi que ta famille ? Ça fait très longtemps qu’on s’est perdues de vue. Plus de trente ans, je crois. Adrien m’a dit qu’en 2016,  il a adopté officiellement tes trois enfants. Quelle merveilleuse idée puisqu’il n’en a pas !

 

Elena : Bonjour Ava. Ça fait bien longtemps, en effet … C’est une longue histoire familiale comme tu le sais… Adrien m’a transmis ton invitation pour Ermitage-sur-Lez. Je t’en remercie. Ce sera pour beaucoup plus tard. Ma fille attend son premier bébé et pour rien au monde, je ne quitterai Paris en ce moment. Merci pour ta gentillesse.

 

Après dix minutes de papotage neutre sur leurs progénitures respectives, trois pour Elena et quatre pour Ava, où tout y passe : âges, mariages, professions, études, le nombre des petits-enfants, cinq pour Ava et rien encore pour Elena… 

 

Ava : Je tiens vraiment à te remercier. Grâce à ton intervention -  et je sais combien elle était délicate -, nous pouvons maintenant nous retrouver, Adrien et   moi, en toute sérénité, sans la moindre ambiguïté. Tu l’as aidé à résoudre son problème avec beaucoup d’empathie, d’intelligence et de diplomatie. Même s’il  cherchait à ne rien laisser transparaître, j’ai senti son appréhension à devoir aborder  la situation de   face. Ce n’était pas facile de le voir souffrir. Et en être consciente, c’est tuant.

 

Elena : Pour te dire la vérité et ce, pour te rassurer, mon intervention auprès de     Julia n’avait rien d’exceptionnel. Entre eux, le désamour était déjà ancré, profond.  Plus de communication. Chacun campait sur sa position. Il avait suffi de quelques paroles lucides venant de l’extérieur pour que tout se remette en place, accélérant enfin la séparation. Je pense que, de son côté, Julia a été, elle aussi, soulagée. Elle   est encore jeune et peut se construire d’autres perspectives amoureuses …

 

Ava (pense tout bas : Oh, Elena, dans la sagesse de ton affection pour ton frère, tu as déroulé pour Julia un tapis des plus moelleux pour qu’elle «n’

ait pas à emporter sa rancœur à la semelle de ses escarpins » (*)…. D’une voix fébrile et avalant sa salive, elle pose enfin la question : Quel âge a-t-elle, Julia ?

 

Elena : Dix ans de moins qu’Adrien … A propos, si j’ai un conseil à te donner … (elle s’interrompt brusquement)

 

Ava : S’il te plaît, dis-le moi vite, j’ai besoin de savoir …  Trente années d’absence ! C’est beaucoup … Il y a des choses que je dois connaître à propos d’Adrien … J’ai peur quelquefois.

 

Elena : Tu n’as aucune raison d’avoir peur. Je connais mon frère.  Jamais encore,     je ne l’avais vu aussi épanoui que depuis son retour de Montpellier. Lui, un tantinet austère, je le surprends à rire facilement … pour n’importe quoi, comme un adolescent. Edward, mon compagnon est journaliste free-lance, envoyé spécial à Paris pour un ou deux journaux britanniques, a été agréablement surpris de  l’entendre chantonner l’autre jour dans notre jardin, lui qui ne quittait jamais sa    cape de fonctionnaire discret et austère. Pareil au bureau. Suzanne m’a dit que le changement de son comportement a été très net. Il ne fronce plus ses sourcils et sa voix est devenue plus douce comme débarrassée enfin du stress. Pourtant le travail  est resté le même, avec ses éternels problèmes, urgents ou non à résoudre. Mon benjamin a constaté dernièrement « Il est bien cool, oncle Adrien »… Ah oui, j’y pense, il y a autre chose. Tu sais que par sa fonction au ministère, il est amené à beaucoup voyager. Tu dois t’attendre à des absences fréquentes de sa part.

 

Ava : Oui, je sais. Il a même prévu que pour son prochain voyage au Japon, nous allons nous offrir une semaine à visiter les environs de Kyoto, une fois sa mission achevée à Tokyo. 

 

Elena : Il a prévu de t’y emmener ? Ça alors ! C’est nouveau ! Sous divers prétextes, notamment celui de séparation entre vie privée et vie professionnelle, il n’avait jamais fait pareille proposition à l’une ou à l’autre de ses ex.  Et ça je peux te le confirmer. Preuve qu’il tient vraiment à toi. Tu n’as pas à avoir  peur de quoi que     ce soit.

 

Ava : Ses absences pour missions à l’étranger, ça ne me dérange pas. La solitude     ne m’a jamais pesée. D’autant plus qu’actuellement,  je me prépare à  écrire l’histoire de ma famille pour mes enfants pour qu’ils sachent d’où ils viennent.

 

Elena : Je veux juste te prévenir car toutes ses absences impromptues avaient beaucoup perturbé certaines de ses ex… Enfin, c’est sa vie. Finalement.

 

Ava : Ses absences me permettront de mener mon projet d’écriture à tête reposée.  Car quand il  est là, sa présence dévore tout mon espace vital et je ne peux rien faire d’autre que d’être intégralement avec lui. Le bonheur de l’avoir à mes côtés est trop grand pour que je me permette à pondre le moindre jet d’écriture  … (Elle hésite … puis se lance) S’il te plaît, est-ce là le seul conseil que tu me donnes ou est-ce qu’il y en a d’autres ? Il faut que je sache …

 

Elena : Ah oui. Un conseil important si je peux m’exprimer ainsi. C’est à propos      de l’âge. Je te conseille vivement d’oublier TON âge … Il m’a dit l’autre jour : c’est la seule chose qui m’agace chez Ava… Si Adrien n’y pense pas, pourquoi toi, tu       y penses sans cesse, au risque de tout gâcher ? C’est précieux ce que vous êtes            en train de vivre là. L’âge n’a rien à voir. Ne gâche pas ce bonheur avec ton obsession d’être plus âgée que lui.

 

Ava (elle pense tout bas : Oh mon Adrien, mon merveilleux Adrien !)

 

Elena : Sais-tu ce qu’il m’a dit à ton propos, à son retour de Montpellier ? « Ava ne cesse de me surprendre. La plupart du temps elle est « hors sol » et passe du réel      au rêve avec une vitesse sidérante. Le plus étonnant, c’est qu’une fois la surprise passée et le rythme intégré, j’entre allègrement dans son monde où s’alternent sans contradiction le sérieux et le loufoque. Et nos réactions alors s’accordent et s’adhèrent comme l’écorce à l’arbre. Nous nageons dans une harmonie à nulle autre pareille, provoquant de tendres joutes qui nous éclaboussent de rires irrépressibles, surtout quand nous rions à nos dépens. Comme de vrais jumeaux d’esprit et de   coeur. Même si je la taquine souvent et  je ne me prive pas de le faire, elle adore ça, au fond de nous, nous savons que nous ressentons la même chose et donc, par ricochet l’un vers l’autre, nous éprouvons la même ferveur de vivre. Cette impression de plénitude d’être enfin avec un double de moi.  Fascinante et en même temps, tellement agréable et apaisante. Cette sensation rare de nous sentir enfin arrivés  à destination, après des errements et autres tergiversations, dans une demeure qui n’appartient qu’à nous »

 

Ava : Oh, merci. Merci Elena. Tu ne peux savoir combien je suis émue d’entendre   de telles paroles. Bien sûr, je sens que c’est exceptionnel ce que nous sommes en train de vivre mais t’entendre le confirmer de la sorte, toi qui l’as toujours soutenu,     toi qui connais tout de lui  … cela prend une autre valeur. Tu ne peux imaginer combien … Grâce à ce que tu viens de me dire, je perçois mieux comment il me voit, comment il me ressent  … et ça c’est inestimable !

 

Elena : Mais ce n’est pas fini… Il y a encore autre chose…  Mon frère ne t’a jamais   parlé de notre père Philippe ?

 

Ava : Non.  Jamais. Avant, lors de nos rencontres, on n’avait que très peu de temps pour  nos confidences. Et puis j’étais toujours pressée. J’avais à faire face à tant de choses. Les difficultés d’une activité professionnelle qui avait subi des pertes énormes et la charge mentale d’une famille nombreuse. Sans compter cet  engagement si prenant pour les droits humains mené avec nos amis dissidents des pays ex-communistes de l’Europe de l’Est et de l’ex Union Soviétique. Je connaissais le problème avec Nadine et c’est tout. Et pourquoi votre père dans tout ça ?  Je  me souviens qu’il était aimable avec moi chez les Pliouchtch. Aimable mais très distant, très réservé. Il était plutôt silencieux la plupart du temps. C’était surtout Nadine qui parlait.

 

Elena : Je vais laisser Adrien te raconter de vive voix. Il connaît l’histoire mieux    que nous tous, étant le seul confident de notre père il y a trente ans. Moi, ce n’était    que par bribes et nombre de détails m’échappaient et m’échappent encore. C’est  assez compliqué. Mais ce lien-là, né d’un évènement dramatique qu’avait eu à subir mon père, aucune ex d’Adrien ne pourra jamais s’y prétendre. Un lien invisible    vous liait et continue certainement à vous lier, toi et Adrien. C’est trop grave, trop long pour que je m’embrouille au téléphone à te relater les tenants et aboutissants  de ce qui s’est passé il y a fort longtemps.

 

Ava : Oh là, Elena, avec cette nouvelle révélation, tu me laisses sur des charbons ardents. Tu ne peux pas m’en parler, juste un tout petit peu ?

 

Elena : Non, je préfère m’en abstenir. Il vaut mieux que ce soit Adrien en personne. Le seul qui soit vraiment au courant et qui puisse t’en parler face à face. Désolée.

 

Ava : Et en plus il va partir incessamment pour Dubai et Abou Dabi ! S’il n’y avait pas cette opération de cataracte qui va me bloquer ici, je serais montée à Paris accueillir son retour… Je brûle d’impatience.

 

Elena : Excuse-moi, je dois me dépêcher pour être à l’heure chez l’ophtalmo. Vu le délai pour obtenir ce rendez-vous, j’ai intérêt à ne pas le rater.  Au revoir, Ava.  Je suis bien contente de reprendre contact avec toi. Et merci de rendre mon frère aussi heureux.

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L’amour n’est-il pas un éternel questionnement ? Entrer dans l’univers de l’être  aimé revient à accepter sans réserve le risque de s’égarer dans un labyrinthe d’évènements imprévus. Comment fera-t-elle pour se diriger dans ce dédale né de la rivalité entre réalité et imagination, entre l’histoire du passé et le récit même de ce passé ? Va-t-elle trouver le fil d’Ariane ? Va-t-elle risquer elle-même de se perdre bientôt en conjectures vaines et improbables issues de ces questions de la Grande Histoire émaillée de conflits des plus meurtriers, insoutenables par l’absurdité même de leurs origines  douteuses ?

 

Elfina

Ermitage-sur-Lez

16/08/2019

 

(*) « On n’emporte pas la patrie à la semelle de ses souliers » Danton.

 



23/09/2019
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