Maridan-Gyres

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Atelier 11 - 2019

Atelier N° 11 — Sujet n° 1 — Bar à histoires

 

Les deux personnages choisis

Le patron du bar

Le chat

Les deux objets choisis

La tasse de thé

Le comptoir du bar

Les cinq mots choisis

Énigme

Amour

Doux

Ici

Présence

Les trois phrases choisies

« C’est l’heure du thé ! »

« Qu’il est doux de raconter des histoires ! »

« Ses ronflements faisaient vibrer toutes les fenêtres de l’appartement »

 

 

 

Histoire à quatre voix

 

Comme tous les matins depuis 25 ans, moi Hervé, patron de bar, j’officie derrière le zinc de l’établissement dont j’ai hérité à la mort de mes parents. Au début, je ne voulais pas le reprendre, trop de souvenirs… Et puis le devoir de transmission a pris le dessus et j’ai remplacé mon père, comme une évidence. Un jour, peut-être, mon fils Paul reprendra le flambeau. Je ne lui en parle pas. Je ne veux pas lui mettre la pression. Surtout que cette envie vienne de lui. Si cela doit se faire, alors cela se fera.

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Je regarde ces deux clients installés à une table isolée dans le fond du bar. Cela fait quelques semaines qu’ils se retrouvent ici pour prendre leur petit déjeuner ensemble. Ils arrivent toujours en décalé. Lui d’abord. Il passe la porte à 7 h 25 précises, me dit bonjour, jette un coup d’oeil circulaire dans la salle puis part s’installer, invariablement à la même place, face à l’entrée. À 7 h 30, c’est son tour à elle, fichu entourant un visage d’une blancheur de lait et lunettes noires voilant son regard. Elle l’a d’un bleu azur. Je le sais, car elle retire toujours ses lunettes pour me saluer. Elle rejoint la table du fond et s’assoit en face de lui. La première chose qu’ils font, c’est se presser les mains en se penchant l’un vers l’autre en quête du baiser tant attendu.

 

Je patiente toujours quelques minutes, le temps de leur laisser respirer ensemble le bonheur de se retrouver, puis je viens vers eux prendre la commande.

 

  • Et pour vous Madame, Monsieur, ce sera ?
  • Un petit déjeuner complet s’il vous plait. Votre formule. Avec une tasse de café et une tasse de thé
  •  Très bien, je vous remercie

 

Je leur prépare un plateau complet que je leur dépose discrètement puis je retourne derrière mon comptoir. Leur histoire est une énigme pour moi. Impossible de déterminer s’il s’agit d’un couple légitime ou d’amants qui se retrouvent ici dans le secret des lumières tamisées d’un café de quartier. Peut-être sont-ils les espions d’une organisation clandestine !! Qu’il est doux de raconter des histoires lorsque des vies entières défilent dans ces lieux de rencontres éphémères ou fidèles !

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Miaou ! Miaou ! Rrrrh Rrrrh ! Rouarouh la douce chaleur de cette banquette près du radiateur. J’aime m’y lover et faire de longues siestes en laissant une oreille faire son office de radar pour écouter tout ce qui se passe autour de moi. Ce matin, moi Rugby le chat, je suis descendu un peu plus tôt dans la salle du bar, car mon maître, Hugo, le deuxième fils du patron, épuisé par sa sortie nocturne, dormait d’un sommeil trop sonore pour moi. Ses ronflements faisaient vibrer toutes les fenêtres de l’appartement. Trop c’est trop alors je me suis réfugié ici, dans cet endroit familier.

 

Tiens ! Monsieur X et Madame Y sont arrivés. Je vais aller tourner vers leur table. Lui me gratifie toujours d’une caresse rapide sur le dos et elle prend davantage de temps pour me gratouiller la tête. J’adore ça. Je me suis habitué à eux très vite. Ils parlent toujours d’une voix très douce, murmurée. Ils ne regardent pas beaucoup autour d’eux, les autres humains ne semblent pas les intéresser. Mais moi, dès leur premier matin ici, j’ai senti que j’avais affaire à de bonnes personnes. Ils ne me disent rien lorsque je m’assois sur la banquette à côté de Monsieur X. Et puis qui se méfierait d’un chat tout calinou comme moi ? Personne. De toute façon, quoi que j’entende, le secret sera bien gardé. Je peux être une présence réconfortante pour eux, mais tout en discrétion. Je peux être muet comme une tombe. Pas un miaou de trop, même sous la torture !

 

Tiens ! Ce matin Madame Y semble toute triste. J’ai vu une larme glisser lentement sur sa joue. Je n’aime pas voir les gens tristes. S’ils sont tristes, c’est que le soleil a oublié de se lever pour eux le matin ou que ses rayons sont trop pâles pour les atteindre. Aussi, dans ces moments-là, j’aime me montrer tout doux, venir sur les genoux de la personne triste et ronronner pour lui témoigner mon soutien. Ce que je fais avec elle. Un sourire s’affiche aussitôt sur son visage tandis qu’elle me gratte entre les deux oreilles. Je l’observe de mes yeux perçants de chat de gouttière. Elle semble aller mieux.

 

Sur la table, le service de petit déjeuner vient d’être apporté par Hervé, le patron. Tout est au cordeau comme d’habitude. La tasse pour Madame Y est accompagnée de ses ustensiles habituels : sous-tasse, petite cuillère, sucre unitaire emballé, sachet de deux mini-Speculoos® et surtout…

 

  • « C’est l’heure du thé ! » semble crier la tasse en risquant une œillade du côté du pichet de la même faïence qu’elle dans laquelle elle entend l’eau frémir de toute sa chaleur.

 

Vite être réchauffée tout en laissant le sachet de thé au jasmin infuser tranquillement et libérer toute sa saveur. Moi, la tasse, j’aime par-dessus tout sentir la chaleur monter en moi jusqu’au bout de mon anse. J’en frissonne d’aise et je pourrais même basculer à la renverse si ma complice de toujours, la sous-tasse, n’était pas là pour me retenir ! Quant à la petite cuillère, la douce musique qu’elle imprime lorsqu’elle réunit eau, thé et sucre me donne des rêves d’évasion…

 

Pour l’heure, mon attention est surtout occupée par Monsieur X qui sort un papier de son veston et le tend à Madame Y. Le visage de celle-ci s’assombrit et d’un coup, elle m’écarte sur le côté de la table, comme si je n’étais soudain plus rien pour elle. La tasse à café n’a pas bougé elle. Elle rentre ses bords pour ne pas risquer l’isolement. Que peut bien contenir ce document ? Ah, si seulement Madame Y avait la bonne idée de déployer les feuillets juste au-dessus de l’eau, celle-ci, complice, me livrerait en miroir les secrets de ce texte et je pourrais ensuite le déchiffrer. Malheureusement, il n’en sera rien. Je devrais me contenter d’avoir été écartée et de rester loin des échanges entre cet homme et cette femme. Oh et puis il y a ce chat qui furète partout. Il va bien finir par me faire tomber à force de balayer la table de sa queue. Ouf ! Madame Y le remet par terre. Je l’ai échappé belle !

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 Oh moi, vous savez ! Depuis le temps que je suis planté ici, j’en ai vu des gens défiler ! J’en ai écouté des histoires, des vertes, des pas mures et des pas racontables. Comptoir qu’on m’appelle. Ou alors zinc. Combien se sont assis sur les tabourets juste devant moi, droits comme un i ou affalés sur ma piste en formica. Combien se sont confiés à Hervé, le taulier, ou ont simplement parlé tout seuls en rivant leurs pieds à ma rampe inférieure pour ne pas sombrer trop vite…

 

Ces deux-là, je les ai vus arriver. Jamais ensemble pour ne pas attirer l’attention. La première fois que l’homme est entré, il est resté debout contre moi, une main posée sur le bar, pour demander s’il pouvait avoir une table à l’écart. Il y avait comme une sorte de fébrilité dans sa voix et dans la paume de sa main. Était-ce déjà de l’amour qui transparaissait ? Je ne saurai le dire, mais il y avait quelque chose.

 

Depuis quelques semaines, lui et cette femme s’assoient au fond de la salle, à l’abri des regards indiscrets. Comme ma longueur dépasse les quatre mètres linéaires, je suis très près de leur espace intime et je me sens un peu comme leur confident. Ils parlent beaucoup tout en prenant la formule petit déjeuner complète. Ils murmurent, se tiennent les mains, se regardent dans les yeux, s’échangent des documents. J’aimerais pouvoir les protéger de ma corpulence, leur signifier qu’ils ont trouvé le bon refuge. Leur dire que ce bistrot de famille est marqué de l’empreinte de ses occupants et porte les cicatrices, belles ou douloureuses, du temps qui passe. Mais ils le savent sans doute déjà puisqu’ils en franchissent les portes chaque matin.

  

Monsieur X et Madame Y continueront probablement de s’installer dans leur coin fétiche pendant quelque temps. Peut-être disparaîtront-ils un jour, sans crier gare, laissant Hervé le patron, Rugby le chat, Mademoiselle tasse et Monsieur comptoir orphelins de leur histoire. Mais ainsi va la vie. Ce bar de quartier est un refuge pour le voyageur, un espace de liberté pour les étudiants à l’intercours,  un moment privilégié pour les amitiés ou amours éphémères ou durables.

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 29.04.19

 

Atelier N° 11 — Sujet n° 2 — Conte pour enfants

 

Les cinq derniers mots de la liste utilisés :

 

Loufoque

Cordes

Lumière

Épopée

Générosité

 

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Maestro déménage

 

Il était une fois, un petit étang au milieu d’une campagne verdoyante. Il était sorti de nulle part, un jour, comme par magie, et depuis, différents habitants en avaient pris possession, qui sous l’eau, qui sur l’eau, qui sur ses rives, qui un peu plus loin parce qu’un peu plus timide.

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Lunette, un petit poisson aux rayures jaunes et blanches séparées d’un liséré noir, avait élu domicile dans ses eaux. Son petit coin de prédilection, celui où il passait beaucoup de temps à observer le monde d’en haut, c’était une petite île de nénuphars de toutes les couleurs. Il aimait par-dessus tout remonter en surface, prendre appui sur un nymphéa tout en laissant la moitié de son corps immergé. Il faut vous dire que Lunette faisait partie de ces poissons aussi à l’aise pour respirer dans l’élément liquide que dans l’atmosphère. Mais c’est aussi la Contrée de Perpilet qui voulait ça. Elle décuplait les possibilités de vie chez ses petits protégés.

 

Le petit poisson profitait de la lumière pour faire des ronds dans l’eau qu’il propulsait tels des ricochets supersoniques. Ils venaient se répercuter sur les tiges des joncs et sur les cailloux de la berge. Il arrivait même à faire des bulles qu’il projetait dans le ciel d’un souffle gros comme un soleil. Et alors là c’était magique ! Chacune d’elles était irisée de mille nuances selon son exposition à l’astre du jour. Lorsqu’il était particulièrement en forme, il arrivait même à modeler ses bulles pour leur faire prendre des formes complètement loufoques! Oh ! là ! Un dromaludaire[1] ! Et ici ! Une lampirougne[2] ! Ça alors ! Et encore plus haut ? Un oiseauctavie[3] ! Avec de vraies plumes !

 

  • Eh toi en bas ! Arrête de m’embuller[4] ! Tu es en train de mouiller tout mon plumage ! Je viens de passer chez l’oiselisseur[5] pour une mise en beauté. Tu vas tout abimer !
  • Qui me parle ? Il y a quelqu’un en haut ?
  • Ben oui moi ! Maestro ! Juste au-dessus de toi !

 

Alors que le petit poisson, ébloui par le soleil, faisait des efforts pour discerner d’où provenait cette voix stridulante tout en se hissant un peu plus sur sa feuille de nénuphar, un oiseau vint se poser tout près de lui, sur l’île flottante voisine.

 

  •  Comment t’appelles-tu petit poisson bulleur ?
  • Je m’appelle Lunette
  • C’est drôle comme prénom
  • C’est à cause des cercles noirs qui entourent mes yeux et qui se prolongent derrière ma tête. Et toi ? Tu t’appelles comment ?
  • Moi, c’est Maestro ! Parce que je peux chanter tout ce que je veux, de l’aigu au grave
  • Tu habites près de l’étang Maestro ?
  •  Non pas encore. Je suis venu visiter. Il y a du monde ici ?
  • Oui un peu. En général, les animaux s’installent après une longue épopée à travers la contrée de Perpilet. Quelquefois, ils arrivent même de plus loin, du Loch du Greroux.
  • Ah oui je vois. Moi je viens du Marais de la Nanlun. C’est loin aussi. Comme je ne connais pas ici, il me faudrait quelqu’un pour m’aider à trouver mon chez moi.
  • Alors le mieux est de t’adresser à un Cherche-ta-place. Ils connaissent tout sur tout : les meilleurs endroits pour dénicher des champignons, les fleurs Roule-ta-Bille que tu appliques sur les zones douloureuses de ton corps, les coins uniques pour élire domicile.
  • Et ça se trouve où un Cherche-ta-Place ?
  • Tu vois le bosquet fleuri au bout du champ là-bas ? Au cinquième arbre, tourne à gauche et tu verras le burofficine[6] de Gipsy. Il a longtemps bourlingué mais c’est en se fixant ici qu’il a décidé de monter son affaire et d’aider les nouveaux venus à trouver leur petit coin idéal. Tu sais, c’est dans ses cordes de débusquer ce qui pourrait te plaire.

 

Alors que Maestro et Lunette devisaient comme deux vieux amis, le petit poisson composa une bulle plus grosse que celles qu’il n’avait jamais produites. Elle avait pris la forme d’un char à vent. Il proposa à l’oiseauctavie de l’accompagner chez Gipsy à bord du véhicule volant en profitant de la petite brise légère du jour comme moyen de propulsion. Aussitôt dit, aussitôt fait ! Quelques minutes plus tard, le char à vent se posait devant le burofficine. Le Cherche-ta-Place avait installé tablounette et siègelet sous un arbrisol[7] et travaillait sur ses dossiers. Lorsqu’il vit arriver ses visiteurs, il leur fit signe de s’installer devant lui. Emprunt d’une générosité sans égale, il leur proposa quelques douceurs végétales issues de sa cueillette du matin et du jus de sève de noiblantier[8], un arbre réputé pour ses qualités digestives.

 

Les échanges entre les trois personnages furent animés et bientôt, une liste de lieux susceptibles de plaire à Maestro fut établie. Rendez-vous fut pris pour le lendemain afin d’effectuer les visites de terrain. Le petit oiseau était tellement content qu’il se mit à chanter comme jamais sur ses trois octaves ! Il savait qu’il était désormais à sa place, dans la Contrée de Perpilet. Lunette quant à lui, avait trouvé un ami pour la vie.

 

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 30.04.19

 

 

 

 



[1] Dromaludaire : Nom masculin. Animal de petite taille ressemblant à un dromadaire et dont la bosse clignote de toutes les couleurs lorsqu’il croise un congénère

[2] Lampirougne : Nom féminin. Petite lutine qui passe ses journées à râler contre tout et n’importe quoi

[3] Oiseauctavie : Nom masculin. Moineau des champs capable de chanter sur trois octaves

[4] Embuller : Verbe du 1er groupe. Enfermer dans une bulle

[5] Oiselisseur : Nom masculin. Coiffeur spécialisé pour les êtres à plumes

[6] Burofficine : Nom masculin. Agence conseil en hébergement et naturologie

[7] Arbrisol : Nom masculin. Arbre dont les branches feuillues retombent en parasol, offrant ainsi une protection agréable contre les rayons de soleil

[8] Noiblantier : Nom masculin. Arbre originaire de la Contrée de Perpilet, connu pour sa sève régénératrice et digestive

 

Atelier N° 11 — Sujet n° 3 — Tautogramme en L

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Louisette et Léonard Lisaient un Livre sous La Lueur Légère d’un Lampadaire Lilliputien. Ils Lâchaient de Loin en Loin de Lacrymales Louanges devant cette Lagune de Lettres Libérées en des Lamelles Langagières Lancinantes et Languissantes.

 

Lollypop La Langouste et Latin Lover Le Lapereau Lapaient Littéralement Les Lettres de Lavande et Les Listes Lyriques en Lapis-Lazuli.

 

Des Lustres que Lui, Léonard Lorgnait sur Louisette. Ses Lunettes Levées Légèrement, il Luttait, tel un Lion, Livrant de ses Lèvres Luisantes des Lutineries Linuxiennes pour Libérer des Litres de Louanges à sa Lolita.

 

Là-haut, La Lune Levante Laissait des Larmes Lointaines Louvoyer Le Long de ses Lacs de Lave et de ses Lapillis…

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 02.05.19

 

 

Atelier N° 11 — Sujet n° 4 — Poème monostique

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Vers en 42 syllabes et 22 mots

 

Les montagnes enneigées offrent un défilé protecteur à l’étrange maison volante de Mister Smigby ; sur le sentier, le chef indien Snowfoot veille.

 

 

© Ouvrez les Guillemets 63 – 02.05.19

 

Je vous rappelle que Claire possède un blog que vous pouvez découvrir ici :  https://www.ouvrezlesguillemets63.com/

 

 

 

 



02/05/2019
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