atelier 12 - 2024 - Sujet 5
Atterrissage insolite suite et fin.
Comment me sortir de ce mauvais pas, maintenant ? Je progressais au milieu de cette jungle avec difficultés ne sachant trop où mes pas m’entraînaient, ma vue étant bouchée par la taille des herbes.
Sur ma droite, un bruit sourd grandissait. Une sorte de roulement de tambour. Cette fanfare s’approchait de moi sans que je puisse la voir. Soudain, le silence revint, mais devant mon visage se tenait un mastodonte noir, perché sur six pattes très longues. Ne sachant comment le regarder dans ses yeux à facettes, je restais immobile en apnée. Ce devait être un éclaireur. S’il rameutait ses congénères, il en était fini de moi, transporté dans la fourmilière tel un mouton embroché pour le dîner. Tentant un coup aussi désespéré qu’audacieux, je me mis à hurler le plus fort que je pouvais et agitais mes deux bras, tels les ailes d’un moulin à vent. La géante fourmi pensa que j’étais un petit animal microscopique, trop maigre pour le festoyer, inintéressant, et repartit au roulement de ses pas lourds.
Ma tranquillité ne dura pas. Une immense bête volante, avec un corps fin et allongé, bordé de grandes ailes orange, vint tourner au-dessus de moi, comme un hélicoptère voulant se poser sur ma tête. Elle faisait le bruit d’un ventilateur et bondissait d’une herbe à l’autre autour de moi, tels les indiens attaquant une caravane de pionniers américains. Je compris que ma combinaison spatiale jaune fluorescente l’attirait tel un bouton d’or. Je me tins droit comme un i, les bras dressés à la verticale au-dessus de ma tête et me mis à sauter comme sur un trampoline. L’effet escompté réussit. Courir je ne m’en serais pas débarrassé, volant plus vite que je ne pouvais avancer. Tandis que rebondissant sur place, ce papillon comprit que je n’étais pas une fleur normale, peut-être même une fleur carnivore dont il valait mieux s’écarter.
A peine ce beau papillon parti, mes oreilles perçurent le bruit d’un froissement de papier. Il augmentait de volume de manière régulière, jusqu’à devenir assourdissant. Il cessa d’un coup. Deux énormes pattes velues avec des griffes, s’étaient arrêtées à quelques centimètres de moi et une tête moustachue avec deux yeux verts en amande se pencha vers moi avec curiosité et assurance : un chat. Ma combinaison se remplit de transpiration. Le danger était cette fois-ci sérieux. Je pensais de suite à mon propre chat qui mettait devant chaque entrée de ma maison une rapiette déchiquetée pour me prouver qu’il avait bien gardé la maison pendant mon absence. Mon sort était conclu. Moi, un grand cosmonaute des temps modernes, ayant réussi le plus long vol intersidéral, j’allais terminer en lézard tailladé sur le perron de mes hôtes involontaires.
L’animal voulait s’amuser avec moi avant de me trucider. Par petits coups de pattes, griffes rentrées, il me bousculait et m’envoyait par pichenettes successives là où messire le désirait. Je devinais derrière son regard d’acier, la jouissance qu’il retirait de la situation. Ah, grand-dieu, si j’avais ma taille normale, c’est moi qui te courserais et te torturerais avec plaisir.
Un coup de patte plus violent que les autres, me projeta au-dessus des herbes et je tombais avec violence près de ma capsule. Avant que le matou ne me repère dans la prairie, je m’enfermais dans mon vaisseau.
Le félin eut vite fait de me retrouver, mais j’étais à l’abri de ses griffes. En colère, il se mit à jouer au ballon avec mon engin. Heureusement, j’avais eu le temps de remettre mes ceintures de sécurité. La séance me parut interminable. Ma tête balançait de tous côtés. Je craignais une ouverture inopinée de la porte d’accès.
Soudain, certainement lassé par son dernier jouet, sur lequel ses griffes ne pouvaient rien, il me lança de toutes ses forces au loin et je retombais dans un grand bruit d’eau. Le calme revint et je sentis que ma capsule avançait. Par le hublot, j’aperçus de l’eau tout autour. En fait, je flottais sur ce qui me semblait être la mer mais qui n’était en réalité que la Loire. Je m’en rendis compte petit à petit. Les arbres des berges, les pontons des barques, les maisonnettes des riverains, tout me semblait reprendre une taille normale. La radio se remit à fonctionner, et j’entendis la voix nasillarde du chef d’expédition. Après lui avoir expliqué mon aventure, il se mit à rire et me rassura. C’était prévu. Ma cabine et moi-même avions été rétrécis, pendant notre sommeil, pour réduire l’échauffement dû à l’entrée dans l’atmosphère. Puis, comme nous devions amerrir, au contact de l’eau, nous aurions repris notre taille comme une éponge absorbe l’eau. Ils ne m’avaient pas prévenu de peur que je ne refuse l’expérience, ce qui aurait été vrai. Ils étaient désolés de cette erreur de lieu d’atterrissage. Le temps de prévenir Paris, et l’US Air Force me récupérerait en toute discrétion.
D’un côté, j’étais furieux contre ces monstres d’ingénieurs, de l’autre passionné par ce que je venais de vivre, j’étais bien décidé à me reconvertir dans l’étude de la faune de petite taille.
Dorémi
Juillet 2024.
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