Maridan-Gyres

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Atelier 17 - 2023 - Sujet 2

Moins vingt.

 

Ce matin, cela n’était pas arrivé depuis fort longtemps, je bondis hors de mon lit, alors que  mon réveil dort encore, comme lorsque j’avais 5 ans le matin de Noël. Je me sens en très grande forme.  Pas de sapin, mais ma routine matinale, fenêtre ouverte, avec ma consciencieuse gymnastique douce de septuagénaire soucieux de son corps et du bon entretien de ce compagnon de toute une vie. Flexions sur les genoux. Étirements des bras. Torsions du bassin. Touchés les pieds jambes tendues. Bizarre, aujourd’hui, ce dernier exercice s’exécute avec une telle aisance et un tel rythme, mains posées à plat sur le sol sans craquement osseux, qu’Il ne manque que la musique tonique de Véronique et Davina, de mes années dont on dit que l’on est dans la force de l’âge.

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Le miroir de l’armoire m’interpelle. L’individu reflété n’est pas moi ou, en regardant plus attentivement, c’est moi sans être moi. Calvitie disparue, front non ridé, yeux marron pétillants sans poche, joues pleines, nez fin, peau  lisse dépourvue de points noirs, dents bien présentes, barbe et moustache d’un noir uniforme. Je suis obligé d’enlever mes lunettes pour me voir nettement. C’est bien moi, il y a 20 ans. Je me mire avec délectation, telle la Castafiore devant sa psyché.

Bien que chamboulé par cette image flatteuse, avec l’agilité de Belmondo, je dévale quatre à quatre l’escalier qui mène à la cuisine. Ma canne sommeille encore dans la chambre. Tant pis pour cette embarrassante compagne qui finira dans la cheminée, je me débrouille très bien sans elle.

Le cerveau bouillonnant d’idées à réaliser dans la journée, je ne me rends pas compte, qu’à la place du sacro-saint thé-biscottes-beurre-miel, quotidien, je me prépare tranquillement une succulente omelette aux croûtons, comme je n’en ai pas mangé depuis des lustres, époque où le salé primait sur le sucré. Impossible de trouver une baguette dans cette fichue maison, uniquement du pain de mie pour vieil édenté. Heureusement, ma colère est calmée grâce à un Saint-Emilion 1998 endormi dans ma cave. Le paquet de café s’étant trop bien caché au fond des placards depuis tant d’années, l’ersatz de décaféiné me décide d’aller au bistrot de ma rue, boire un vrai noir au zinc, celui que je préfère.

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Après une douche froide mieux supportée que ne l’aurait fait Sylvester Stalone lui-même, je constate, à mon grand désarroi, que mon pantalon trop large chuterait si mes bretelles ne venaient pas à sa rescousse.  J’étais plus Charlie Chaplin que Rambo.

Ainsi affublé, je sors, bien décidé à retrouver le comptoir du troquet trop longtemps raisonnablement abandonné. A bas la raison, vive la déraison, une excitante nouvelle vie m’attend.

Devant la porte d’entrée, qui a dressé ce mur noir sombre qui me barre irrémédiablement le passage ? Du haut de l’escalier, une voix glaciale m’interpelle, voulant savoir ce que je fais, à 3 heures de la nuit, sur le pas de la porte. Nos regards se croisent. En face de moi, c’est moi l’octogénaire, un Dark Vador qui me fusille des yeux avec les éclairs de Zeus. Disparaît, me dit-il d’une voix forte et sans appel, tu es le passé, tu n’existes plus, tu n’en as plus le droit, ce serait trop simple, tout un chacun pourrait remonter le temps de sa vie, ce serait un cycle sans fin, un cirque sans fin, ce serait invivable et pour le coup cela mettrait en péril l’humanité toute entière.

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Aussi penaud que lorsque, adolescent, mon papa m’avait surpris faisant le mur pour retrouver ma copine, je referme la porte et monte pesamment dans ma chambre finir ma nuit de vieil homme et continuer mon rêve d’un retour vers le futur.

 

Dorémi

Décembre 2023.



17/12/2023
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