Maridan-Gyres

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Atelier 20 - 2021 - sujet 1

 

                                                     La difficulté de vivre  

 

La difficulté de vivre au prix de la honte ancestrale de la pauvreté que jamais l’éclat de Dieu ne vint adoucir, tel était le ressenti qu’Angèle nourrissait depuis de nombreuses années.

Malgré des études supérieures lui ayant permis d’accéder à des fonctions très lucratives, la jeune femme n’en finissait pas de se sentir en marge de la société.

La modestie de ses origines avait galvanisé sa soif d’apprendre et son désir d’être reconnue dans son milieu professionnel autant que dans son cercle d’«amis ».

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Elle avait dû exercer des petits boulots pour financer des études que sa famille ne pouvait assumer. Elle en était fière et paradoxalement n’y faisait jamais allusion. Cherchant toujours à s’élever au-dessus sa classe d’origine, elle avait conquis les milieux huppés dans lesquels elle savait se mettre en valeur.

Cependant, rentrant de ces soirées aussi inévitables qu’interminables, elle avait toujours le sentiment de ne pas avoir été à la hauteur des discussions du moment. Elle restait convaincue de renvoyer l’image de la petite fille pauvre. Ses connaissances et relations issues de milieux aisés n’avaient jamais dû cumuler travail et études. Les parents nantis avaient largement pourvu à tous les frais de leur progéniture.

Toujours habillée avec recherche, elle suscitait de fréquents compliments mais doutait toujours de la sincérité de ces belles paroles. Dans les restaurants chics et chers qu’elle était appelée à fréquenter elle ressentait toujours une forme de gêne devant la vaisselle luxueuse et les nombreux couverts qui encadraient son assiette. Les verres de cristal focalisaient son attention redoutant toujours une maladresse de sa part. Elle avait connu la honte de sa vie lors d’un repas d’affaires qui devait voir la signature d’un contrat important avec des clients asiatiques. Sa gaucherie lui avait valu de maculer de sauce la chemise Christian Dior d’un potentiel acheteur qui heureusement ne manquait ni d’humour ni de ressources. Après quelques minutes il était réapparu arborant une chemise impeccable en déclarant à Angèle cramoisie de confusion :

 

—     Ce sont les risques du métier et il vaut mieux savoir anticiper…

 

Pour dissimuler l’indigence de son enfance, époque où le mot vacances et séjours à l’hôtel n’étaient pas au programme de son temps libre, dès qu’elle en avait eu les moyens, seule, elle s’était initiée à l’équitation, aux descentes sur la poudreuse, à la navigation à voile, enfin à toutes ses activités que ses amis du moment maitrisaient depuis leur plus jeune âge.

Mais ses apprentissages tardifs l’empêchaient de se sentir à l’aise dans toute ces disciplines.

Elle avait la certitude que l’on riait sous cape dès qu’elle avait le dos tourné. Elle refusait les invitations aux parties de golf en prétextant migraine ou rendez-vous incontournables.

Ces situations la mettaient dans un état de tension pénible à gérer et qu’elle n’assumait pas du tout. Son comportement induisait un profond désarroi chez cette jeune femme qui malgré sa réussite ressentait un sentiment de trahison à l’encontre de son passé. Il lui semblait véritablement qu’elle reniait ses origines et ne parvenait à s’ouvrir de ses tourments à quiconque. Nulle oreille attentive pour comprendre les états d’âme de la jeune cadre.

Un soir de solitude et de détresse encore plus douloureux que les précédents, errant sans but véritable dans les rues presque désertes de son quartier, elle pénétra dans une église en s’assurant que personne ne l’observait. Elle n’avait jamais appris à prier, mais pensait que la sérénité de ce lieu de recueillement allait lui apporter un certain apaisement. Malgré sa ferveur sincère et sa muette prière, elle ne ressentit aucun apaisement. Elle se sentait abandonnée de tous et même du Tout-Puissant. Elle déambula ainsi une partie de la nuit sans même avoir conscience de son avancée en périphérie de la ville ou squats et bidonvilles avaient remplacé les beaux immeubles auxquels elle était accoutumée.

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Avec la fraîcheur du petit matin, elle prit conscience de son égarement et le regard concupiscents des quelques noctambules attardés la glaça d’effroi.

Hâtant le pas, en essayant de se situer au milieu de cette banlieue dans laquelle elle n’avait aucun repères, enfin, un panneau de direction lui fit comprendre combien elle se trouvait loin de son domicile. Elle comprit qu’elle marchait depuis très longtemps et se sentait incapable de rentrer chez elle tant la fatigue l’assaillait. Avec les premières lueurs du jour, l’animation de la ville renaissait. Certains lève-tôt couraient déjà vers un métro ou un car rejoignant un improbable travail. Mais il fallait bien survivre et faire face à ce quotidien morose et avec si peu d’espoir de jours meilleurs.

Retrouvant ses réflexes de jeune nantie, elle héla un taxi en maraude et retrouva son appartement douillet avec un plaisir non dissimulé.

Après avoir avalé un thé brulant avec un morceau de brioche rassise, levant les yeux, son regard balaya le salon meublé et décoré avec inspiration et raffinement.

Certes, ce cadre convenait parfaitement avec la jeune femme qu’elle était devenue. Mais qui était-elle réellement ? Une belle personne, reconnue, voir admirée par une galerie d’individus dont en vérité elle se moquait complétement. De temps à autre, un bel amant à son bras donnait l’illusion de la parfaite réalisation. Toute son existence était basée sur l’apparence et la réussite palpable que chacun pouvait étaler en arborant un orgueil surfait.

Sa vie, devenue une vaste scène sur laquelle elle tenait son rôle avec talent lui sauta au visage.

Angèle éclata en sanglots, s’effondra sur la méridienne de style empire et se maudit d’être entrée dans ce simulacre de réussite tellement aux antipodes de sa véritable personnalité.

Elle se précipita vers son bureau, ouvrit fébrilement l’ordinateur, y tapa rageusement quelques lignes, les mit sous enveloppe et courut vers la boite à lettres au coin de sa rue.

 

Quelques mois plus tard, une magnifique carte postale de Lozère fut déposée sur le bureau de ses anciens collaborateurs avec ces quelques mots :

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  • Le bonheur, il là. Je l’ai trouvé auprès de mes brebis, au milieu de ce causse qui est rude mais où tout est vrai, profond et sans contrefaçon.

Désolée, je ne m’attarde pas d’avantage, la traite ça n’attend pas et je pense que le berger a besoin de mon aide pour la confection de ces fromages qui réjouissent les palais du canton.

 Je ne vous dis pas à bientôt, et recevez une pensée sans regret portée par le vent frais du mont Aigoual.

 

Plus de honte. Un vrai bonheur de vie. Je pense même qu’Angèle a été touchée par l’éclat de Dieu et qu’elle aime son prochain comme elle a appris à s’aimer elle-même.

 

                                                                                    KIKA.20.01.2022.



31/01/2022
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