Maridan-Gyres

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Atelier 3 - 2021 - Sujet 1 - Vermeilleuse* traversée

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Trois ans après son absence, elle le cherche toujours dans le reflet de son regard dans le miroir. Elle en caresse les contours, sent le grain de la peau sous ses doigts tremblants. Elle peut même encore humer le parfum de son après-rasage sur le mouchoir en dentelle qui ne la quitte jamais. Elle ferme les yeux… les rouvre… Autour d’elle, le vide. L’intensité du vide emplie de son absence.

 

Tout n’est finalement quillusion. L’illusion d’une vie qui s’était présentée à eux sur le tard, à l’hiver d’une existence qui les laissaient exsangues d’eux-mêmes, et oubliés de leurs proches. Ils avaient pourtant eu de la chance. L’endroit était tout neuf, et une aile était réservée à ceux que la démence empêchait d’évoluer dans le réel. Ils n’étaient pas de ceux-là. Pour elle, pour lui, juste quelques moments d’étourderie de temps en temps. Pas de quoi inquiéter le personnel en blouse blanche.

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Au début, leurs yeux s’étaient croisés au-dessus d’un plateau de dames, puis, timides, n’avaient plus quitté leurs pions respectifs. Une autre fois, c’étaient leurs mains qui s’étaient frôlées, au moment de se servir au buffet d’entrées du restaurant. Ils s’accoutumèrent à passer de plus en plus de temps ensemble, parcourant les allées du parc qui leur offrait le plus bel écrin pour accueillir leur vieux bonheur tout neuf d’octogénaires. Était-ce une régression sur la carte du tendre ? Oh non ! Simplement un pas vers un avenir qu’ils savaient tous les deux se réduire comme peau de chagrin. Un avenir qu’ils s’autorisaient à rêver ensemble. Même si cela devait provoquer le sempiternel discours véhément de la rigoriste directrice de l’établissement. Surtout ne pas faire de vagues. À leur âge, quand même ! Comment pouvaient-ils encore penser à « ça » ?

 

Eux n’en avaient cure. Ils aimaient encore, in extremis. Ils ne vivraient pas la misère des cœurs secs et des âmes esseulées. Ils se parlaient, se ressentaient, vibraient au tréfonds de la vieillesse de leurs corps fatigués et ridés, telle une plage balayée par le vent. Ils échappaient ainsi à la brume des matins d’hiver, celle qui vous enveloppe de froidure et étend ses bras tentaculaires sur une existence qui s’émiette peu à peu.

 

« Jusqu’à ce que la mort vous sépare… »

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Son cœur à lui était plus fatigué. Alors il a tiré sa révérence. Déjà trois ans. Trois longues années qu’elle hésite à répondre à l’appel de la forêt. Elle a aimé jusqu’au bout de son âge, mais il est temps pour elle de partir, de se fondre dans la douceur de ces arbres protecteurs, et de s’enraciner dans la terre. Son homme l’attend, son espérance.

 

*  Vermeilleuse : néologisme, né de l’harmonieux mélange de « merveilleuse » et « vermeille »

 

 © Ouvrez les Guillemets - 25.04.2021

 



26/04/2021
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