Atelier 4 - 2022 - sujets 1 et 5
Illustration : tableau d'E. Hopper – L’inconnue du café
Je suis assis à une table d’où elle ne me voit pas.
Pourtant je l’observe depuis une bonne demie heure.
Elle est arrivée le regard perdu et s’est assise comme une automate.
Quand le serveur s’est approché, elle a murmuré « un café »
Elle n’a pas relevé les yeux.
A quoi pense t-elle ?
Que raconte cet air mélancolique ?
Peut être quelque chose qui parlerait de son passé…de sa naissance mal venue ? elle aurait été cachée chez une nourrice prosaïque par une fille mère d’une bourgeoisie où compte plus l’apparat, la brigade du cuisinier, le chauffeur et le nombre de femmes de chambre, la bienséance primant sur l’amour porté aux enfants.,
Ma supposition est totalement gratuite, mais j’ai comme l’intuition qu’elle a souffert d’abandon…
Je l’imagine ayant une attitude toujours maladroite ne sachant comment conjuguer sa soif intense de tendresse et la réserve attendue par ceux qui l’auraient recueillie.
Ils l’auraient fait par obligation, gens de peu de foi ! Je ne parle pas de religion mais d’humanité.
Ils ne l’auraient pas aimée, juste tolérée pour garder leur pitoyable logement en échange de sa garde.
Qui sait la bassesse de certaines âmes ?
Cet enfant en passe de devenir une jeune fille puis une femme aurait elle pu se construire une belle vie malgré ce départ si peu engageant… ? quel futur possible, avec quelle confiance en ses congénères ?
Je l’imagine partie vers un premier amour qu’elle aura cru salvateur… mais que sera-t-il devenu ? aura-t-il été illusoire ou vraiment sincère ?
Je la regarde encore, son chapeau jaune ocré rabattu sur son front comme une protection, son manteau vert ouvert comme un espoir, comme une invitation à la connaître plus intimement à l’inverse de ses jambes croisées et de l’une de ses mains gantée.
Je ne peux la quitter des yeux…elle est dramatiquement belle.
Je suis là comme témoin fantôme d’une vie vacillante qui a pu monter à l’échelle de la résilience ou se perdre en chemin …qu’en sais je ?
A-t-elle eu envie de disparaître parfois ou a-t-elle trouvé un sens à sa vie si ténu soit-il ?
Je suis troublé, l’émotion m’enfièvre, je voudrais m’approcher de sa table, lui dire que je l’invite à partager un autre café, mais tel un adolescent pubère embarrassé par son désir, je reste coi.
Je ne veux pas qu’elle se lève. Je ne veux pas qu’elle me laisse sans réponse…et pourtant je ne risque rien, je préfère le mystère de l’ incertitude, la poésie de l’imaginaire et c’ est moi qui me lève et quitte ce café quasi désertique pour me perdre dans la rue grouillante, la Belle inconnue voile mes yeux et j’aime ça.
Clohe
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