Le monde magique
La nuit est noire, les rues sont vides. Un long hurlement brise le silence oppressant de cette longue soirée d’hiver. La lune étincelante brille derrière le squelette décharné des arbres sans vie. L’eau déserte de plus en plus souvent les plaines arides. L’herbe ne pousse plus, la Terre, lentement, inexorablement s’éteint.
Caché sous ses draps, Daniel songe à l’incroyable créature qu’il avait croisée il y a quelques mois, un soir de pleine lune, comme celui-ci. Bien que totalement effrayé après cette première rencontre, il vivait depuis, avec l’espoir de la revoir un jour. Il avait bien tenté d’en parler à ses copains de l’école, mais tous s’étaient moqués de lui. Ils l’avaient pris pour un « jobastre » comme on dit ici dans le sud. Alors, il avait enfoui ce beau souvenir au fond de sa tête et quand sa vie devenait trop dure, il se rappelait la fabuleuse créature qui ne l’avait pas mangé ce jour-là.
La lune s’est découverte, les nuages se sont retirés. La longue plainte s’élève à nouveau. Daniel est sorti de sous ses couvertures, il s’approche lentement de sa fenêtre. Il tire le rideau… Et soudain, il croise le regard qui ne l’a pas quitté depuis trois mois. La femme-loup est revenue. Il sait qu’elle est là pour lui. Timidement, il lui fait un signe de la main auquel, elle répond par un sourire carnassier. Son regard froid reste néanmoins très doux. Froid parce que ses yeux sont d’un bleu des neiges de l’antarctique. Comme la première fois qu’il l’a vu, elle porte un collier et un bijou de tête ornés de gros diamants qui étincellent sous la lune pleine.
Ses longs cheveux de neige laissent passer deux oreilles de loup. Il est émerveillé de voir tant de beauté. Elle lui fait signe de la rejoindre. Alors, bravant tous les interdits parentaux, l’enfant enfile son anorak et ouvre doucement sa fenêtre. Puis, il se laisse glisser le long du toit jusqu’à l’arbre grâce auquel il descend la rejoindre.
À peine a-t-il posé le pied au sol, que la femme s’approche de lui et lui demande :
- Veux-tu chevaucher sur mon dos ?
- C’est possible ?
- Bien entendu, puisque je te le propose. Tu devras t’attacher à ma crinière.
- Ta crinière ? Tes cheveux, veux-tu dire !
- Non cher enfant, ma crinière. Et sous les yeux médusés de Daniel, elle se transforme en un magnifique loup blanc. Allez ! Grimpe sur mon dos à présent, je t’emmène en balade.
Le vent souffle à ses oreilles. Le poil de son amie est doux. Elle sent le fauve, mais cette odeur a quelque chose de rassurant. Sous ses jambes, il sent la musculature puissante de la louve. C’est comme une ivresse qui s’empare de lui, il tient ses petits doigts bien noués dans la fourrure de son amie. Elle vient de pénétrer au cœur d’une forêt qu’il ne reconnait pas. Arrivée à l’orée d’une clairière, elle pousse un long hurlement et venu, il ne sait d’où, une voix puissante parle :
- Entre, mon amie, viens me présenter ton petit compagnon.
Daniel n’en croit pas ses yeux. Un arbre gigantesque a pris vie sous ses yeux ahuris. Il a un bon regard, aussi doux que celui de sa jolie louve. Un gros nez épaté qui ferait penser à une personne dotée d’un mauvais esprit, que cet arbre-là ne boit pas que de l’eau. ! Au niveau du sol, son tronc laisse apparaître une bouche grande ouverte. Et tout autour de lui, un tapis d’herbe grasse et des fleurs dorées viennent souligner ce qui ressemble à un sourire.
- Bonjour ! petit d’homme, que viens-tu donc faire ici ?
- Je ne sais pas ! C’est mon amie qui m’a conduit auprès de toi.
- Vraiment ? Et bien Léonia, pourquoi m’as-tu amené ce petit homme ?
- Je le crois capable de grandes choses, il pourrait être celui qui nous sauvera.
- Allons, mon amie, n’est-il pas un peu jeune pour affronter tant de danger ?
- Certes, il est jeune, mais j’ai vu son cœur, et ses yeux ne mentent pas. Ce soir, je le sais, il m’attendait.
- Est-ce vrai, petit homme ?
- Oui, il est vrai que je l’espérais, mais j’ignore de quoi je suis capable.
- Brave petit. Très bien, je t’ouvre la porte du monde magique, tu peux pénétrer notre monde. Bon voyage.
Sous le regard interloqué de Daniel, l’arbre ouvre grand son tronc et la louve et lui passent sous l’arbre. Après quelques pas, la louve reprend forme humaine. L’enfant se retourne et il voit un arbre qui a perdu tous les signes qui le rendaient différent. C’est un arbre comme les autres à présent.
Devant lui s’ouvre un chemin qui descend dans une vallée luxuriante que le soleil éclaire de mille feux. Aussi loin que se porte son regard, c’est une nature généreuse et magnifique qui offre un camaïeu de couleurs extraordinaires. Il y a si longtemps qu’il n’a pas vu de forêt aussi belle. La dernière a disparu de la Terre il y a près de cent ans. Celles qu'il connait illustrent ses cahiers d'écolier. Aujourd’hui, les hommes vivent sous des dômes de verre, avec un air ventilé par de grosses machines. Il n’a jamais senti les fragrances qui se dispersent ici au gré du vent. Il se sent merveilleusement bien. Comme jamais auparavant.
- Que cet endroit est beau ! Où sommes-nous ?
- Tu es à l’origine.
- À l’origine de quoi ?
- À l’origine de ce que fut la Terre avant que les hommes détruisent tout.
- C’est si beau !
Soudain, une adorable petite créature approche. Elle est portée par une myriade de papillons multicolores, tous plus beaux les uns que les autres. Elle-même a dans le dos deux très jolies ailes irisées. Elle porte une robe rose qui semble être de la dentelle. Il ignorait qu’il existait encore de ce tissu. Ses cheveux, sa robe, tout semble fait du même matériau.
- Qui est-ce ?
- C’est Papillona, l’enfant de la reine papillon.
- Que fait-elle ?
- Comme chaque jour, elle part avec ses amis vérifier que la forêt se porte bien et que nul n’a besoin d’aide.
- Qui pourrait avoir besoin d’elle ?
- Qui sait ? L’alouette qui grisolle, le hibou qui ulule, le lièvre qui couine, le renard qui glapit, ou tout autre animal, dont elle seule connait le chant. Papillona est en quelque sorte notre pompier de la forêt.
- Quel beau métier, elle exerce. J’aimerais faire comme elle lorsque je serai grand.
- Tu avais raison Léonia, cet enfant est intéressant !
- Qui a parlé ?
- Le grand chêne.
- Mais, je ne le vois plus ! Où est-il ?
- Il est partout, il règne en maître sur le monde magique. Sans son accord, il est impossible de pénétrer ce lieu.
Au loin, le ciel s’est embrasé, la nuit, là aussi, va tomber. Daniel n’avait pas fait attention qu’ici, il faisait jour, alors qu’il avait quitté sa maison à la nuit tombée.
- Ici, il fait encore jour, suis-je parti depuis longtemps de la maison de mes parents ?
- Non, une petite heure tout au plus, pourquoi ?
- Je ne voudrais pas que mes parents s’inquiètent.
- Ne t’en fais pas, ils n’en sauront rien. Tu seras de retour avant qu’ils ne voient ton départ. Veux-tu rentrer à présent ?
- Oh non ! J’aimerais continuer la visite.
- Très bien alors, allons-y !
Ils reprennent le chemin et Daniel voit avec plaisir les jolies fleurs qui bordent la route, tandis qu’ils s’enfoncent à travers la vallée, ce sont des lièvres qui passent, là deux renards qui jouent, là quelques cerfs, une jolie biche. À présent, la nuit est totale, au loin, il distingue une lueur bleue.
- Qu’est-ce que c’est là-bas ?
- Je vais te présenter ma cousine, Noireaude la coquette.
- Quel curieux nom pour une femme papillon.
- Non, ce n’est pas une femme papillon, c’est une fée très puissante, ne la contrarie surtout pas. Elle n’aime guère les hommes. C’est l’heure où elle quitte sa maison pour se nourrir. Elle adore butiner le cœur des grosses campanules qui prolifèrent dans cette vallée.
Léonia a repris sa forme de louve et Daniel a grimpé sur son dos. Lorsqu’ils arrivent près d’elle, la fée les observe avec curiosité. C’est une délicieuse petite créature. Elle pourrait tenir dans la main de Daniel. Elle est toute petite et magnifiquement proportionnée. Elle se lèche le doigt avec gourmandise, ne voulant surtout pas perdre une miette du délicieux pollen de la campanule bleue.
Autour d’elle, des lucioles illuminent la nuit, faisant de cette fée sur des champignons plus grands qu’elle, un magnifique tableau.
- Que viens-tu faire ici petit homme ?
- Je suis venu pour découvrir ce qui fut autrefois la Terre.
- Et alors ! Que retiendras-tu de cette visite ?
- Que nos parents furent bien sots de laisser ainsi le monde entre les mains des puissants. Si tous les hommes s’étaient unis, ils auraient sans doute pu empêcher de faire de notre terre un monde stérile. Nous sommes tous condamnés à vivre reclus dans une atmosphère confinée. Rien de tout ce que j’ai découvert ici n’existe chez moi. Et c’est fort dommage. Je préfèrerais mille fois vivre parmi vous plutôt que retourner dans ce monde mort.
- Tu es un brave petit garçon. Pour te remercier de ton bon cœur et de ta clairvoyance, je demanderai au grand chêne de t’accorder une nouvelle visite en notre monde. Si, comme je le pense, tu deviens un homme responsable, nous t’offrirons un passage permanent.
- Merci, madame la fée, je serai digne de cet honneur, je vous le promets.
- Pour toi, je serai Noireaude la coquette. C’est ainsi que me nomment mes amis de la forêt.
- Alors à bientôt, Noireaude, je reviendrai vous saluer.
- Au revoir petit homme.
Léonia a ramené Daniel chez lui. Avant de la quitter, il la serre très fort dans ses bras.
- Merci, Léonia, pour ce magnifique voyage, j’espère, un jour, être digne de la confiance que vous m’avez témoigné.
- Je n’en doute pas un instant. Si tu veux, je serai là à la prochaine pleine lune. Tu n’as pas encore tout vu de mon monde.
- Je vous attendrai !
Daniel a grimpé à l’arbre et a fini sa nuit dans son lit. Au petit matin, il n’était plus sûr d’avoir vécu tout cela. Était-ce un joli rêve ? Quand il descendit à la cuisine, il remarqua, dehors, ses pas et ceux d’un animal posés dans la neige immaculée.
- Tiens ! remarqua sa mère, on dirait que quelqu’un est venu près de la maison cette nuit !
- Surement un rodeur, ajouta son père.
- Ou, qui sait ! Une créature du monde magique, ajouta Daniel.
Quelle imagination a cet enfant songèrent ses parents.
Pendant ce temps dans la forêt magique le vieux chêne préparait, avec Léonia et Noireaude, les six épreuves qui ferait de Daniel le sauveur de la forêt, mais cela, c’est une autre histoire !
Maridan 18/06/2014
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